Note au lecteur : le bleu italique correspond à l'instructeur ; en noir, les autres intervenants.

Sacrifice

Qu’est-ce que le sacrifice pour vous ?

« Surrender » : abandon.

Pour moi le sacrifice, c’est surtout sacrifier la souffrance inutile.

Oser l’inconnu.

Cela m’évoque avant toute chose le sacrifice de l’intérêt personnel au profit de la vie.

Ça serait quoi le sacrifice « au profit de la vie » ?

C’est que la vie ne se déploie pas forcément dans mon intérêt. Le sacrifice vise à participer au courant de la vie qui se déploie, quand bien même cela ne m’avantagerait pas. C’est une forme active de l’accueil inconditionnel et total de la vie.
Le sacrifice renvoie aussi à l’humilité, à la reconnaissance de plus grand que soi.

Pour moi, le sacrifice est très lié au courage. Courage de faire passer la vérité avant toute chose, au risque de tout perdre, de découvrir que tout ce que je croyais n’était qu’une illusion. Pour découvrir que je ne suis rien, ou que je suis une merde, ou que… qui sait quoi ?

C’est pareil pour moi : sacrifice de l’intérêt personnel pour l’intérêt partagé. Intérêt partagé dans le sens d’échange.

Mettre de côté son confort personnel.

Pour moi les sacrifices sont des choix souvent douloureux que la vie nous oblige à faire de temps à autre, pas forcément liés à l’intérêt personnel ; mais quand on veut atteindre un but, qu’on a une ambition (quel que soit le domaine) on est obligé de faire des sacrifices.
Un proverbe français dit : « on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. »

Dans les pratiques traditionnelles, on sacrifiait le meilleur (de ses récoltes, de ses animaux) pour les dieux, comme si on passait d’un niveau matériel à un niveau autre.

Ça m’évoque aussi l’obéissance, j’ai en tête l’épisode de la bible où Dieu demande à Abraham de sacrifier ce qu’il a de plus précieux, son fils.
Sacrifice signifie rendre sacré, définition du dictionnaire.

Il y a d’autres définitions : 1.Effort volontairement produit, peine volontairement acceptée dans un dessein religieux d’expiation ou d’intercession.
2. Renoncement volontaire à quelque chose, perte qu’on accepte, privation, en particulier sur le plan financier. Ex : « Faire de grands sacrifices pour ses enfants. »

Le sacrifice serait issu d’un choix à faire, ou d’un cri du cœur, de l’abandon.

Qui sacrifie ?

Pour moi c’est comme quand on prend une décision existentielle mais sans volonté personnelle : on laisse les manettes à Dieu, la vie, l’univers, que sais-je, en se rendant compte que de toute façon, on n’a jamais eu les manettes en main ; ça rejoint le « surrender » en effet.

Je suis d’accord avec toi, A., mais je voudrais juste ajouter la notion d’action : on a parfois le choix d’avoir ses propres manettes et de les actionner. On est dans le non-faire mais un non-faire parfois actif où ce n’est plus notre volonté personnelle qui nous guide mais la volonté…de la vie.

Actif, oui, mais si on n’a plus notre volonté personnelle…où sont les manettes ?

S., comment sais-tu que c’est « la volonté de la vie » ?

C’est la grande question ! Parfois elle ne se pose pas tellement car le passage à l’acte (ou pas) est évident. Et parfois je fais intérieurement un pas de côté pour vérifier qu’il n’y a pas d’intérêt personnel caché derrière « ma » (non)action.

Sacrifier la facilité, la lâcheté ; le sacrifice renvoie à l’engagement profond envers soi-même.

Sacrifier ce à quoi on est attaché. Sacrifier même Dieu.

Mourir à soi-même devient la priorité de la vie.

Le sacrifice est un « seppuku ». La personne se termine elle-même.

Pour moi, l’opposition entre l’intérêt personnel, et ce « quelque chose de plus grand », peut sembler insurmontable avant le sacrifice (cf Abraham) mais après l’acte, il ne reste qu’allègement, libération.

Plus de manettes… à aucun niveau, sur aucun plan… l’annihilation totale.

Sacrifier, c’est un éclatement de la structure.

De la structure identitaire ?

Oui.

Le sacrifice évoque l’accueil de la souffrance nécessaire à vivre, dans le moment.

Faire le choix de ce qui va dans le sens de mon engagement le plus ultime, donc pas de sacrifice, plutôt du courage ; le courage peut être à renouveler souvent.

Pour moi sacrifice signifie de consciemment lâcher quelque chose (concrète ou pas) à laquelle on accorde de la valeur, pour obtenir autre chose. Donc finalement lié à l’identité, consciente de son intérêt personnel ou pas, c’est le « seppuku ». Et j’ai aussi aimé la question : « qui sacrifie ? »

Si on n’a plus de volonté personnelle, qui sacrifie ?

Selon moi, c’est forcément l’identité qui « sacrifie », qui se retrouve amoindrie ou diminuée. Lorsqu’on agit hors identité, ça n’est pas perçu comme un sacrifice, mais une chose « normale », dans le flux de la vie.

Si on n’a plus d’identité et donc plus de possession (concret ou pas), que reste-t-il à sacrifier ?

« Que reste-t-il ? »

A. ce n’est pas la même question. Mais elle est très belle. Reste la vie, le sacré… nomme-le comme tu veux. Ce qui est !

On peut sacrifier le concept.

Ou l’attachement.

On ne peut pas sacrifier rien, mais le concept du rien.

Oui. C’est clair ! Ça fait partie du sacrifice de toutes ses croyances.

Mystère…

Sacrifier son plus sacré, c’est le dernier coup.

Oui !

Le coup de grâce !

Mais le coup de grâce ce n’est pas l’identité qui se le donne.

Mon humble avis : non, ce n’est pas l’identité. Dans les coulisses, l’élan initial vient d’au-delà de l’identité. Le rappel lancinant de continuer malgré la souffrance utile vient d’au-delà de l’identité. On utilise l’identité au départ contre elle-même, à son insu.
Mais je ne comprends pas vos questions et vos remarques : « si on n’a plus d’identité », que voulez-vous retirer d’autre ? Si plus d’identité, il n’y a même plus de concept, plus rien, même la vie physique ne devrait plus produire d’attachement (cf Nisargadatta).

Lorsqu’on dit : « c’est l’identité qui sacrifie elle-même, ses attachements, ses concepts etc. », on peut vite se dire, donc « ça ne sert à rien »… Or c’est l’identité qui fait le travail depuis des années, et se dépouille. Qu’en dites-vous ?

Je te rejoins avec cette question : est-il possible de sacrifier son plus sacré ? Ou est-ce un acte de Dieu ?

C’est l’acte de Dieu en nous. Nous sommes tressés inextricablement des deux, de l’identité et du désir vers « Dieu » ; et l’identité fabrique constamment ce que cet Inconnu va sacrifier. Jeu de construction et de déconstruction.

Donc, il ne faut pas aller contre le mouvement du « seppuku » de l’identité qui prend le couteau de Dieu, car ce serait aller dans le sens de l’identité sans Dieu.

Ça me fait penser à l’évolution biologique : les traits fonctionnels sont principalement retenus.

Est-ce que c’est la carotte qui fait que l’ego se mange, ou l’ego ?

La carotte. Mais quand il n’y a plus de carotte que reste-t-il ?

Le doigt de Dieu.