Il y a des moments où l’engagement faiblit et alors il faut faire très attention. Quand on s’endort, on ne s’en rend pas compte, et si on ne garde pas en arrière-plan l’idée qu’on s’était engagé à un moment donné, si on oublie ça aussi, alors l’oubli devient grave, parfois même total. C’est clair que l’engagement doublé d’une décision existentielle ne garantit rien dans la durée, on ne peut donc pas se reposer là-dessus.
S. a vécu quelque chose de similaire il y a quelques mois.
Oui.
Quel était ton contact avec ton engagement pendant cette période ?
J’avais l’impression que quels que soient les efforts que je faisais, plus rien ne marchait, que j’étais dans une impasse. Et j’ai donc commencé à penser remettre en question ma présence dans le groupe.
Et par rapport à ton engagement vis-à-vis de toi ?
Une espèce de désespoir : plus rien n’est possible, j’ai tout fait et ça ne marche pas.
Ça a vacillé aussi !
Eh oui, forcément !
Pourtant je vous avertis régulièrement que ça peut arriver, tu n’y as pas pensé ?
Non. Il y avait presque une espèce de confort à baisser les bras. C’est vrai qu’à ce moment-là j’avais perdu complètement la connexion avec mon engagement.
Ça m’est arrivé aussi ! Et systématiquement quand ça commençait à vaciller, une phrase de W. me revenait en mémoire : « le jour où vous commencez à trouver des bonnes raisons de ne pas venir, c’est là que c’est dangereux ». Ça fonctionnait clairement comme un rappel. Et à chaque fois ça m’a permis de réagir, je lui ai éventuellement téléphoné, en tous cas j’ai fait quelque chose.
En ce qui me concerne, je me suis tout d’abord dit que je n’allais même pas en parler en groupe. Je voulais simplement venir, et si rien ne se passait, je me cassais. Mais quand je suis arrivé ici, j’ai compris qu’il me fallait du courage, qu’il fallait en parler, il fallait le mettre sur la table. Peu importe ce qui arrivait ensuite, mais il fallait en parler. Et pour moi c’était un peu comme la dernière carte à abattre, ça concernait la sincérité vis-à-vis de moi-même. C’était la dernière chose que je pouvais faire : être sincère avec moi, et donc avec vous ! Et le seul fil qui me restait c’était effectivement par rapport à ma sincérité. Ce qui est fou, c’est qu’ensuite tu m’as simplement répondu, et immédiatement tout ça s’est dissout, et l’engagement a repris avec autant de vigueur qu’avant.
Effectivement, il peut y avoir des moments où le mental commence à envoyer ses petites suggestions et alors le paysage tout à coup s’obscurcit jusqu’à la confusion totale. Mais avec l’expérience, je sais tout de suite que c’est du vent, et ça me fait même marrer !
Oui, mais ce que j’ai vécu dernièrement était au-delà de ça. Voir les assauts de l’identité, les pensées innombrables, je trouve que c’est bon signe. Ressentir de la peur ? Oui, l’identité a peur et ne veut pas y aller. Donc au moins j’arrivais à m’accrocher à ça ! Mais à ce moment-là, j’étais arrivé à une impuissance complète ! Dans ce que tu partages, on perçoit quand même l’engagement en arrière-plan. Tandis que moi je ne le sentais quasiment plus.
Quand on s’endort, on ne s’en rend pas compte.
Certains de ceux qui sont partis n’ont pas totalement perdu leur engagement, mais ils ont perdu le courage de continuer à vivre cet engagement. Perdu le courage de se réengager encore et encore, chaque fois que ça va mal.
Je ne sais pas si je le vis comme un réengagement. Comme tu viens de le dire, l’engagement est toujours là, mais est-ce que j’ai le courage ? Et c’est évidemment lié à la sincérité aussi : est-ce que j’ai le courage ou est-ce que je baisse les bras ?
Oui, l’engagement est toujours là, mais à certains moments il faut qu’il y ait un rappel de l’engagement. Pour moi c’est plutôt un rappel de l’engagement qu’un réengagement.
Oui, pour moi aussi.
En ce qui me concerne, chaque fois que j’étais dans la confusion j’ai fait appel à un ami. Et je me demande comment c’est possible de partir sans en parler du tout, même pas en individuel à quelqu’un du groupe, en supposant que ce soit trop difficile d’aller voir W. ou de l’aborder en réunion ? Comment c’est possible ?
Le courage…
Mais il n’en faut pas tellement à ce niveau-là. Est-ce qu’il n’y a pas du faux qui vient s’interposer pour empêcher d’en parler ?
Tout d’abord, il ne faut pas être dans la procrastination. Chaque fois qu’on procrastine, ça devient plus facile de ne pas le faire. Il y a pas mal de conditions, dans ce cas-là.
Le terme d’endormissement est vraiment important. Il y a eu une période dans le groupe où c’était très creux, on avait l’impression qu’il ne se passait rien, ça ressemblait à de la morneté. Dans ces moments, la motivation peut chuter, parce qu’on a été habitué à ce qu’il se passe quelque chose, mais il y a des moments où c’est beaucoup plus lent ou subtil, et on peut avoir l’impression qu’il ne se passe rien. Je me demandais pourquoi je continuais à venir. Et ce qui m’avait beaucoup aidé à l’époque, c’était de me dire : « que j’aie une bonne raison ou pas de bonne raison de ne pas venir, dans tous les cas, il faut que je vienne quand même ». En fait l’absence de motivation n’est pas une bonne raison !
Exactement, ça ne peut pas venir de la motivation.
Non ! Et c’est là que parfois l’endormissement surgit et nous anesthésie peu à peu. Et au bout d’un moment, on perd toute motivation : à quoi bon y aller ? Là il y a vraiment un piège !
À ce moment-là, probablement que toi ou le groupe vous vous trouviez dans un intervalle.
Oui, je me trouvais clairement dans un intervalle, un Mi-Fa où j’avais tendance à tout rejeter en bloc, en pensant que depuis dix ans de travail sur moi, rien n’avait changé. Et c’est ma femme qui m’a dit avoir vu des changements très positifs en moi. Comme quoi l’appel à un ami (pour traverser le Mi-Fa) n’est pas toujours là où on le croit !
Dans tout cheminement, il y a forcément une traversée du désert, c’est inévitable ! Il faut le savoir, ça aide aussi.
Et des oasis de temps en temps !