Note au lecteur : le bleu italique correspond à l'instructeur ; en noir, les autres intervenants.

Perfectionnisme versus faire les choses consciencieusement

Quelle est la différence entre perfectionnisme et faire quelque chose consciencieusement ?

Le perfectionnisme me semble être tourné vers le résultat, avec la tension, et la considération interne. Faire consciencieusement, c’est faire avec la conscience du geste maintenue de façon stable jusqu’au bout, quel que soit le regard des autres, mais seulement parce que ce doit être fait, pour nourrir la conscience, pour la vie.

Dans consciencieusement il y a conscience : donc conscience des gestes mais aussi conscience dans le questionnement du pourquoi je fais ce geste, ce choix de rangement etc., en fonction de l’environnement, des conséquences désirées, de celles que l’on ne veut pas.

Perfectionnisme : je n’y vois pas forcément le questionnement ci- dessus (mais ça peut l’accompagner) ; j’y vois davantage un côté subjectif (donc répondant à des critères qui me sont propres) alors que les questions à se poser dans l’action consciencieuse répondent à des critères objectifs et collectifs.

Je perçois la tension et la considération interne dans le perfectionnisme. Il y a en arrière-plan la prétention (pré-tension :)) et l’orgueil qui la génère. Faire consciencieusement renvoie à la prise de responsabilité de mener à bien (si possible) et à terme un projet ou un acte, dans la présence et l’attention partagée. Le premier est couvert par l’identité, tandis que le second propose un effacement de soi et place l’acte dans le courant de la vie sans arrière-pensée.

Le perfectionnisme est axé sur le résultat. Il peut être conduit par l’identité, comme par exemple dans le désir de contrôler ou dans la volonté d’impressionner les autres. Mais pas nécessairement. Il peut être aussi lié à la créativité, en tant que moyen d’honorer le talent de peindre une image ou d’écrire un poème sans s’arrêter jusqu’à ce qu’on soit parvenu au meilleur résultat que nous permet notre talent (un véritable si-do). En tout cas, le perfectionnisme relève de moi avec moi-même. Faire consciencieusement implique toujours les autres ; même si l’activité n’est pas réalisée pour les autres, il y a toujours de la considération de l’autre présente, par exemple en s’assurant que son activité ne produira pas de gêne ou de futurs problèmes pour les autres.

C’est un point de vue très intéressant. Je n’ai jamais réalisé ça, car dans mon cas, la créativité (lorsque je dessine par exemple) a souvent été souillée par ce que je considérais comme étant du « perfectionnisme » : un manque d’humilité et d’acceptation d’un talent limité ! Aussi j’ai plutôt envisagé ce que tu appelles « perfectionnisme » comme étant de l’« impeccabilité », c’est-à-dire, faire du mieux que je peux mais en m’arrêtant avant que la tension ou l’idée plus ou moins consciente d’être admiré pour mon « œuvre » ne pointe le bout de son nez.

J’ai utilisé le mot « perfectionnisme » de façon neutre sans une quelconque valeur ou vertu associée à sa signification. Mais en y regardant de plus près, je vois qu’il est essentiellement utilisé de façon « psychologique », par exemple : Le perfectionnisme en psychologie, est un trait de la personnalité caractérisé par une lutte pour être parfait, en ayant des normes excessivement élevées, accompagné par une auto-évaluation trop critique, et un souci de l’évaluation des autres. Le mot « impeccabilité », comme tu le suggères, reflète mieux ce que j’ai voulu dire.

Faire les choses consciencieusement, c’est faire les choses en prenant en compte l’ensemble d’un contexte et d’une situation donnée, mais pas seulement ; à mon sens, il y a également une dimension intérieure qui est de faire de son mieux et faire entièrement, et jusqu’au bout. Par « entièrement », j’entends de tout mon être, ce qui implique naturellement en conscience corporelle et en attention partagée. Quand je suis consciencieuse, je me mets au service d’une situation, et je fais les choses non comme j’ai envie de les faire mais comme la situation demande de les faire.
Être perfectionniste, c’est être subjectif : chaque personne a sa propre définition de la perfection. Et cela mène à une crispation, étant donné qu’il est impossible d’atteindre la perfection dans ce bas monde. C’est également rester enfermé dans son petit monde, considérant que SA vision est la seule et la bonne. Faire de son mieux et être perfectionniste ne signifie pas du tout la même chose pour moi. Dans un cas, il y a détente existentielle et détachement du résultat, dans l’autre, crispation et attachement à un but illusoire.

C’est la tension du vouloir (dans le corps) lorsqu’il s’agit du perfectionnisme. Et avec ce vouloir, il y a aussi une absence d’intelligence. Ça veut forcer. Ça veut comprendre. Ça veut réussir. Ça veut, veut, veut. Alors que faire consciencieusement, c’est accepter de rater, éventuellement. C’est souple, fluide, léger, innocent.

La différence c’est la volonté, l’acharnement à vouloir un résultat parfait d’un côté et faire les choses du mieux qu’on peut, en conscience de la tâche à accomplir, avec la prise en considération du lieu, de la tâche, des autres, s’il y a des autres concernés par mon travail.

Me concernant, faire une chose consciencieusement, c’est la faire de façon appliquée, en faisant de mon mieux, en prenant le temps nécessaire, en tenant compte du contexte, en restant détendue, dans la conscience corporelle, en restant à l’écoute, disponible, en prenant le risque de réussir ou non, en étant dans l’action, pas dans le résultat. Le perfectionnisme évoque pour moi un enjeu, avec objectif de résultat, tension corporelle, pression, idée fixe, difficulté à lâcher.

Je le vois comme ça : dans le perfectionnisme il y a un but à atteindre/fuite/projection qui est coupée de la réalité et de la conscience corporelle et qui implique de la souffrance inutile due à la séparation avec ce que l’on est. Les responsabilités sont déléguées à une autorité externe, plutôt qu’assumées sciemment. Dans la « conscienciosité » il y a une acceptation et une humilité induite de soi dont le corps est le transcripteur.

Faire consciencieusement, cela m’évoque la spontanéité, alors que le perfectionnisme calcule toujours pour recevoir une gratification (sa propre réussite par exemple). Il y a tension vers un but, la réussite, il y a la croyance que « je » peux maîtriser les résultats d’une action. Mais un perfectionniste n’atteint jamais complètement la perfection recherchée, donc il se met toujours paradoxalement en échec. D’où grande frustration et tension redoublée. Faire consciencieusement, c’est agir sans tension, avec humilité. Je ne sais pas quel va être le fruit de cette action, seul compte l’acte lui-même. Je repense à l’acte de peindre, être totalement exempt de prétention quant au résultat, se laisser guider d’instant en instant par ce qui surgit sur la feuille, et accepter de tout perdre l’instant suivant, c’est un sacré challenge ! Il y a de la joie et de la légèreté dans le « faire consciencieusement », comme l’enfant qui découvre un nouveau geste et l’explore.

Pour moi le perfectionnisme (je connais…) est clairement un mécanisme identitaire. Il y a une tension vers un but, un objectif qui en réalité est illusoire et jamais atteint : la soi-disant perfection. Le perfectionniste ne peut jamais être satisfait car il peut toujours trouver un détail à parfaire. Dans ce sens, le but n’est jamais atteint. Ce mécanisme est bien sûr un puissant évitement de la souffrance utile ; je pense que c’est là l’unique but des mécanismes identitaires, puisque accueillir la souffrance utile sonne le glas de l’illusion de l’identité. Le perfectionniste est donc séparé, et de facto coupé du contexte, qu’il ne peut pas prendre en compte. Ce qui amène à des situations de grandes tensions et de souffrances inutiles car il ne sait pas quand s’arrêter. Stopper un perfectionniste peut déclencher chez lui de vives réactions. À l’inverse, faire quelque chose consciencieusement implique, la conscience corporelle. Et donc, la prise en compte du contexte (humilité, c’est-à-dire accueil de tout ce que je sais et tout ce que je ne sais pas), l’effacement personnel, l’accueil de la souffrance utile si elle se présente. Dans le travail consciencieux il y a expression de sa valeur de base. Oui permanent. Conscience du geste, rappel de soi.

Le perfectionnisme vient clairement de l’identité : il y a de la considération interne, de l’orgueil. La tension physique est au rendez-vous : l’idée de réussir, d’être parfait, et donc d’être perçu comme une personne de valeur, par les autres bien sûr, pour cacher la souffrance utile de se sentir moins que rien. Je connais bien. Faire consciencieusement, c’est faire ce qu’il y a à faire le mieux que l’on peut. Être dans l’instant. Sans savoir à l’avance le résultat. Se laisser surprendre. Comme le dit N. c’est fluide, simple, et bien plus joyeux !

Le perfectionniste oublie le contexte et se focalise sur le résultat. Dans le monde du travail, on dit que la qualité, c’est faire le strict nécessaire dans le temps et le coût imparti. Le perfectionniste fait de la sur-qualité. Une métaphore que l’on m’avait donnée un jour, c’est celle d’une personne qui nettoie l’autoroute avec une balayette pour enlever tous les graviers. Bien sûr, ceci est lié à l’identité qui ne supporte pas un résultat qui subjectivement ne lui parait « pas assez », avec beaucoup de considération interne. Pour moi, faire consciencieusement peut renvoyer à être dans la présence et la conscience des gestes, mais peut aussi être orienté vers un objectif. Simplement, il prend mieux en compte le contexte, cherche à faire de la qualité et pas de la sur-qualité. Et en ce qui concerne le coté joyeux et fluide, je dirais qu’il peut être là ou pas. Pour moi, il peut y avoir de la souffrance nécessaire à faire une tâche chiante consciencieusement. Simplement, il y a la responsabilité de faire consciencieusement, impeccablement ce qui doit être fait, ni plus ni moins.

Le perfectionniste vise à être sans reproches avec à la fois une peur de se tromper et un désir de supériorité. La « conscienciosité » c’est vivre d’une manière qui évite le dépôt de la poussière sur son âme. Cela veut dire de faire attention à la façon dont on vit, afin d’éviter de causer de la souffrance inutile à soi-même et aux autres.