Note au lecteur : le bleu italique correspond à l'instructeur ; en noir, les autres intervenants.

Opportunités

J’aimerais qu’on parle de saisir les opportunités, dans le sens où ça peut enlever un gros paquet d’un coup, des pans entiers d’identité, de superflu.

Comment reconnaît-on une telle opportunité ?

Est-ce qu’il y a eu des moments où vous avez saisi de telles opportunités ? À l’inverse, il y a peut-être d’autres moments où vous n’avez pas saisi certaines opportunités. Est-ce que quelqu’un a un exemple d’une opportunité ratée ?
C’est très important de saisir les opportunités quand elles se présentent, de ne pas les rater. C’est comme un jackpot intermédiaire. Parfois il y a des choses dont on voudrait se débarrasser, des bouts d’identité, mais ça ne se fait pas, parce que ce n’est pas encore mûr, ou simplement ça attend une opportunité pour pouvoir se faire. Notre assemblée est une ressource pour de telles opportunités, mais il y en a aussi ailleurs dans la vie quotidienne. Simplement ici, il y a peut-être un contexte porteur, un arrière-plan qui fait que ce sera plus facile de saisir les opportunités, ou plus difficile de les rater. Quand on saisit une opportunité, il y a forcément quelque chose à lâcher, un sacrifice à faire. On sacrifie une partie de soi.

Gurdjieff a dit à propos des opportunités que si on ne les saisissait pas, elles devenaient de plus en plus rares et plus pénibles à traverser.

Oui, si on rate une opportunité, lorsque la prochaine se présente (si elle se présente) le prix à payer est plus important, ce qu’il y a à sacrifier est plus difficile.
Ça demande toujours du courage de sauter dans l’inconnu, de renoncer au confort.

Depuis des années, je rêve que ma vie change, et franchement il n’y a eu aucune opportunité qui est passée ! J’ai même essayé d’en créer. Ça se crée des opportunités ?

Non, il faut attendre.

Mais quand on parle d’opportunité, est-ce que c’est forcément quelque chose de conséquent ?

C’est quand même substantiel en règle générale. La première fois c’est relativement facile. La deuxième fois, en principe c’est déjà plus dur. Même si on se rend compte qu’on a loupé une opportunité et qu’on attend la prochaine, il se peut qu’elle ne vienne pas. Ou si elle vient, on peut rester bloqué devant le même problème que la première fois « c’est trop pour moi… ». C’est toujours un peu trop, sinon ce ne serait pas une opportunité.
Par exemple, pour ceux qui ont quitté l’enseignement, revenir serait beaucoup plus dur, beaucoup plus cher. Jusqu’à maintenant personne n’est jamais revenu. Il y aurait beaucoup plus à sacrifier en revenant que ce qu’il y aurait eu à sacrifier en restant. Quand on saisit une opportunité, c’est vraiment un gros paquet qui part d’un coup.
Il y a des témoignages ?

On m’a proposé en début d’année de participer à un très gros festival de tango et d’animer la dernière soirée. Comme ça tombait au moment d’une de nos rencontres, j’ai refusé. C’était une opportunité pour moi de ne pas lâcher, et ça m’a obligé à être vraiment clair. J’ai dû, plusieurs fois, verbaliser mon refus aux organisateurs qui me sollicitaient à nouveau. L’instructeur m’avait dit que plus la décision était claire, moins elle serait attaquée. Au début, j’ai senti que cette décision provoquait des réactions plutôt agressives, puis ça a lâché. J’ai ensuite observé une sorte de respect, parce que j’avais tenu, totalement, jusqu’au bout. Pour moi c’était vraiment une opportunité très importante. Je pense que rater celle-là aurait été assez violent.

Pour moi, le fait d’avoir pris notre gérance administrative a été une vraie opportunité. Ça m’a permis de me confronter exactement là où ça bute pour moi, entre le doute et l’élan. Ça m’a demandé du courage, parce que je me faisais une montagne de cet inconnu, et finalement ça s’est bien passé et ça fait cinq ans que ça dure. Un autre élément que j’ai constaté, c’est à quel point le fait de prendre une opportunité en génère d’autres. Par exemple cet été, j’ai eu une grosse prise de conscience à propos de l’acharnement pour une question technique concernant l’administration, et actuellement avec ma banque, c’est du même ordre, je dois insister sans relâche pour obtenir quelque chose. Cet acharnement est venu parce que j’ai pris la gérance. C’est intéressant de voir comment une porte peut ouvrir d’autres portes.

D’autres exemples d’opportunités saisies ou ratées ?

Une opportunité que je n’ai pas saisie, c’est le rangement de mon garage.

C’est un problème de procrastination ?

Ça me paraissait trop gros, je ne savais pas par où commencer.

Et donc tu payes chaque mois depuis plus de 7 ans pour un garage où il n’y a que des choses à jeter ?

Oui, il y a quelque chose de l’attachement. Je l’ai reconnu il y a quelque temps et je me suis dit que ça suffisait. Et j’ai donc commencé à débarrasser.
Je me souviens aussi d’une opportunité que j’ai saisie, quand tu m’as demandé de laisser pousser mes cheveux. Pendant quarante ans j’ai eu les cheveux courts et je ne pouvais pas imaginer changer de look. J’avais des idées bien arrêtées sur le style qui devait me convenir ou pas, j’étais identifiée à l’image que je donnais de moi-même aux autres. J’ai donc suivi l’injonction au risque de ne plus correspondre à mes propres critères esthétiques. Pendant la pousse des cheveux, j’ai appris à accepter ce changement, et maintenant cette part identitaire ne me préoccupe plus comme avant.

Il y a quelques années, j’étais propriétaire d’un appartement qui représentait une espèce de sécurité. Lorsque je l’ai vendu pour pouvoir participer aux rencontres, je croyais que ce serait difficile. Eh bien pas du tout, au contraire ça m’a beaucoup allégée ! Et maintenant je n’ai plus rien du tout, et je sens que c’est mieux ainsi. J’ai aussi partagé avec mes deux enfants, donc l’héritage est liquidé. J’ai trouvé ça très agréable, et ça m’a beaucoup surprise, parce que je m’attendais à ce que ce soit difficile.

Oui, c’est un très bel exemple.