Note au lecteur : le bleu italique correspond à l'instructeur ; en noir, les autres intervenants.

Le manque

N. as-tu quelque chose à partager ?

L’impression d’être en manque a toujours été un moteur pour chercher quelque chose, et je me suis rendu compte récemment que je voulais me débarrasser de cette impression de manque. Mais je me demande si cette démarche est correcte, et je crois que non.

Est-ce que tu ressens le manque physiquement ?

Oui, et émotionnellement aussi.

Comme un vide ?

Oui.

Il faut rester avec.

D’accord, il n’y a donc pas à le résoudre !

Non, il n’y a rien à résoudre. Uniquement observer et accueillir. C’est très précieux.

C’est précieux ?

Oui, très précieux ! Beaucoup de gens ici le vivent en permanence. Il s’agit là du néant qui est derrière tout ce qu’on fait. Tu es en contact direct avec lui, c’est génial.

Ok !

Oui, le grand trou. Mais on a tendance à le remplir immédiatement.

Surtout pas !
Et A. quelle est ton expérience par rapport à la question du manque?

Je n’ai pas l’impression d’avoir de manque. Pour moi la seule chose à faire est d’accueillir tout ce qui vient. Je ne m’ennuie jamais : accueillir la non-compréhension, accueillir le mal-être en essayant d’identifier ce qu’il y a derrière… c’est vraiment l’accueil, l’accueil, l’accueil. Surtout ne pas prendre le train.

Qui est-ce qui accueille ?

Ah, qui est-ce qui accueille ? C’est le cœur, surtout pas le mental. Dès que je sens que je pourrais monter dans un wagon du train, je laisse tomber au plus vite.

Et à la place, qu’est-ce qu’il y a ?

La conscience corporelle, qui va jusqu’à la symbiose. Essayer de rester là-dedans, être vigilante. Dès que le mental pointe son nez, simplement retourner à la conscience corporelle. Il y a des journées où c’est calme, très calme. Mais ce matin, j’ai constaté que je n’étais plus là-dedans, alors j’y retourne, inlassablement. Il y a aussi des jours où c’est vide.

C’est ça le manque, c’est la même chose.

Et certains jours, il faut retourner inlassablement à la conscience corporelle.

Et derrière la conscience corporelle, qu’est-ce qu’il y a ?

Il y a le silence.

Le vide.

Le vide aussi. D’accord !

Voilà pourquoi c’est précieux : parce que ce vide, ce manque, c’est vraiment à la base de tout. Reste avec, complètement. Même si tu ne comprends rien, ne cherche pas, n’interprète pas, reste avec, c’est très précieux.
C’est comme un drogué qui a besoin de sa drogue. C’est l’identité qui cherche à remplir le manque, le vide. Elle ne supporte pas ça ! On peut même avoir des symptômes physiques de sevrage, quand on choisit de rester avec le manque. Mais ce n’est pas grave, ça passe. Ça fait partie des choses qu’il faut traverser ici.

Il y a la solitude, aussi. Se sentir extrêmement seul, parfois, mais dans un sens positif.

Oui !
Vouloir comprendre, c’est encore un mécanisme identitaire. L’enfant veut comprendre, c’est avec ça qu’il constitue son identité. Nous, on fait l’inverse. Simplement être là, observer, voir, regarder, sentir, ça suffit. Conscience corporelle.
Merci de ton partage, c’était très intéressant. Et A. ?

Parfois j’ai l’impression de comprendre un peu, et puis ça change aussitôt ! Il n’y a rien de figé, c’est insaisissable.

Ce qui est permanent, c’est ton cœur.

Oui, il y a quelque chose en arrière-plan qui ne change pas.

J’ai l’impression que le vide est derrière toute chose, et que c’est la densité de ce qui en émerge qui change. Il y a des moments où le vide est plein, alors tout est à sa place, tout est tranquille. Mais parfois, il y a un manque : c’est un vide qui paraît vide, et on a envie de chercher quelque chose pour le remplir.
Et si je fais le lien avec la conscience corporelle, je dirais qu’il y a des moments d’oubli, quand je me sépare, et c’est à ce moment que je peux ressentir le manque, comme un trou à combler. A l’opposé, quand je suis dans la conscience corporelle, je me sens dilaté et paradoxalement complet : c’est à ce moment que je pourrais parler de vide plein.

Et A.M. ? Quel est ton message ?

Pour moi, le mot « manque » et le mot « vide », n’évoquent pas la même chose. Le manque, je l’ai vécu très fort, comme une sensation de « ça ne peut pas durer, ce n’est pas la vraie vie, il faut trouver. » Et ce n’est plus du tout comme ça. Le vide, pour moi c’est avant tout le silence. Et ce que j’ai découvert aussi ici, c’est un vide qui m’effrayait au début, un vide lié aux attachements qui se défont. Même dans l’action, le vide se trouve en arrière-plan. Il y a toujours plein de sollicitations, mais ce n’est pas moi qui fais marcher cette machine.

Tout à fait. On a une expression pour ça : « C’est la vie qui décide ». On laisse faire la vie.

Oui, c’est ça. Et il y a un grand vide dans le sens où je peux faire les choses consciencieusement, mais sans attachement. Ça a été un passage important pour moi, car j’étais beaucoup prise dans l’attachement aux personnes.