Note au lecteur : le bleu italique correspond à l'instructeur ; en noir, les autres intervenants.

L’écoute du cœur

L’écoute est devenue la clé de nombreux remèdes. Le psychologue, le psychanalyste, le médecin, le pédagogue, le politique, etc., tous revendiquent la nécessité d’écouter l’autre. Mais dans ce contexte, écouter revient à prendre une certaine attitude.

En effet.

Comment voyez-vous ces approches particulières ? S’agit-il d’écoute de l’autre ? Et pour vous qu’est-ce que l’écoute ?

Dans tous ces contextes mentionnés, l’écoute de l’autre est en règle générale filtrée par l’égo de l’écoutant. Il n’est pas facile de se débarrasser de tous les filtres idéologiques, de ses conditionnements, de ses intérêts personnels, de ses croyances qui a priori font obstacle à une véritable écoute, telle que je la définis.

Tant qu’il y a un égo, il y a séparation moi-autre, ce qui rend l’écoute réelle impossible.
Écouter l’autre réellement c’est : écouter avec ses oreilles, ses os, avec son être profond, avec son être divin qui est pur et innocent comme un enfant, et qui ne juge pas.

Étymologiquement, écouter vient du latin « auscultare » : écouter avec attention, et aussi « obéir ».
On connaît les moments où l’enfant n’écoute pas, dans le sens de ne pas obéir. Un enfant qui serait toujours à l’écoute ne pourrait pas évoluer, ne pourrait pas développer un égo, une identité sociale. Pour se constituer une identité, il faut s’opposer, il faut s’affirmer dans la séparation, et un des moyens est la non-écoute intentionnelle.

En tant qu’adulte, nous avons la possibilité de nous défaire des mécanismes de l’identité et de retrouver l’écoute non filtrée par notre égo. Ceci est la finalité de tout enseignement authentique.

Comment l’écoute, qui ne se limite pas à une attitude ou une prise de position, peut-elle être un pas vers la liberté de l’être ?

Selon mes observations, la liberté de l’être est là ou elle n’est pas là.
Je ne peux pas m’imaginer qu’il y ait des « étapes ».
Par contre, il y a des exercices qui peuvent donner des aperçus de cette liberté de l’être, à condition que ces exercices fassent partie d’un enseignement guidé par un instructeur (voir plus loin).
Écouter dans le sens « obéir » EST la liberté de l’être.
Qui dit obéir dit accepter, accueillir. En écartant consciemment les filtres de l’égo, donc des croyances, des concepts, des désirs, des peurs, au moment même où ils surgissent.
Accueillir les agréments au même niveau que les désagréments nous maintient dans l’écoute de la non-dualité.

La difficulté que nous avons à écouter vient de la peur de ne plus exister dans l’écoute, de disparaître en tant que personne ou égo. Cette peur de ne plus être un individu indépendant est-elle justifiée ?

Justifiée ou pas, le problème n’est pas là. La peur de ne plus être un individu subsiste tant que la croyance qu’on est un individu indépendant est active. J’ai appelé cette croyance « la croyance de base ». Stephen Wolinsky l’appelle « false core » (le faux fondamental). La désactiver ne peut pas se faire du jour au lendemain ; les conditionnements sont trop importants, et physiquement, en se débarrassant de cette croyance, on doit être prêt à subir une véritable cure de sevrage, avec des symptômes bien connus que subissent les toxicomanes, parce que le système nerveux est habitué depuis la petite enfance à vivre dans la séparation.
Apprendre à écouter au-delà de l’égo (qui au fond n’est qu’une croyance et n’existe pas réellement) ne peut pas, en règle générale, se faire tout seul ; il nous faut un guide pour l’apprendre, et qui est lui-même dans cette écoute en permanence.

La pratique de l’écoute est-elle une manière de « réaliser sa propre nullité » selon les termes de G. I. Gurdjieff ?

Je le formulerais comme ça : pour redécouvrir l’écoute réelle en soi, il est indispensable de reconnaître sa propre nullité.

Pour expliciter des notions employées par Gurdjieff, comment percevez-vous l’écoute en tant que « nourriture d’impression ». Par cette qualité d’écoute que vous avez définie, y a-t-il un développement de nouvelles énergies, d’énergies spirituelles ?

L’écoute du cœur perçoit l’essence du perçu. Quand je dirige mon attention sur l’écoute de l’essentiel, je permets à l’âme de se nourrir et je me relie avec le sens de la vie.

Mais aussi en tant que pratique de la « non-considération interne » ?

Toute considération interne est un obstacle à l’écoute du cœur. Dans l’enseignement de Gurdjieff, dénoncer la considération interne (qui se manifeste essentiellement par un dialogue interne qui de son côté est alimenté par tous genres de peurs) va de pair avec « cultiver » la considération externe, se rendre disponible pour servir le contexte, pour laisser libre expression à sa valeur de base, « the best of the best » qui règne en nous.
L’écoute du cœur est à la base de la considération externe.

L’écoute du cœur est-elle autant l’écoute de soi que l’écoute de l’autre ?

Oui, absolument. L’écoute de soi ne peut pas être dissociée de l’écoute de l’autre.

Voici un exercice que je préconise :
L’écoute de l’autre se fait simultanément avec l’écoute de soi. C’est un peu difficile de décrire cela avec des mots, mais je vais essayer. Pour ceux qui sont familiers avec l’enseignement de Gurdjieff : Il s’agit de l’attention (auditive) partagée. 50% de cette attention auditive est dirigé vers « soi », en l’occurrence vers son corps (biologiquement, il y a deux écoutes simultanées : l’écoute de l’oreille et l’écoute des os qui vibrent par les sons perçus), et vers son cœur. Les autres 50% sont dirigés sur l’autre en écoutant son intention, et non pas ses mots. En fait, il est indispensable de savoir se dissocier des mots parce que les mots ont une signification différente pour chacun d’entre nous.
Rester au niveau de la parole et des mots produit la confusion des langues et des malentendus.

Dans l’écoute du cœur, nous sommes unis.