Note au lecteur : le bleu italique correspond à l'instructeur ; en noir, les autres intervenants.

Impatience

J’aimerais parler du sujet : patience- impatience- surpatience.

L’impatience, je connais bien. Devant l’ordinateur, quand ça ne se passe pas comme je veux, ça me rend fou. Sur certaines choses, je suis très impatient. Par contre avec les régimes, j’ai été surpatient. La surpatience, c’est le calme plat.

Quand tu fais de la surpatience avec ta fainéantise, ça s’appelle de la procrastination

Est-ce qu’on peut parler d’inertie pour la surpatience ?

Ça peut être quelque chose comme une impuissance apprise, c’est comme pour les chiens qui reçoivent une décharge électrique chaque fois qu’ils font quelque chose ; au bout d’un moment, ils n’osent plus bouger.

Ce que j’ai compris, c’est que c’est un contrôle intellectuel pour ne pas réagir.

C’est un mécanisme identitaire, soit de ne pas oser, soit de passivité, comme un tampon. Là où on devrait agir, on se retient d’agir.

C’est une inertie, une léthargie.

Donc, dans le cadre de notre travail sur nous, est-ce que quelqu’un ici ne connaît pas l’impatience ? (Silence)… Donc, tout le monde connaît ça ici.

Chez moi, c’est fortement lié au défaut d’attention et au stress également, car je veux faire trop bien, immédiatement. Dans ces cas-là, je ne suis pas dans la conscience corporelle. Je peux le repérer, mais je mets quelques secondes pour en sortir.

Est-ce qu’il y a un « vouloir » volontaire et identitaire ?

Oui, clairement ! Derrière, c’est vouloir satisfaire, vite.

Est-ce qu’on peut généraliser ?

Peut-il y avoir une impatience qui ne vienne pas de l’identité ?

C’est clair pour moi, je ne reconnais pas d’impatience qui ne vienne pas de l’identité.

Si ça ne vient pas de l’identité, il faudrait employer un autre mot, comme désir ou élan.

Oui, c’est là où on peut confondre.

Donc c’est quand même important, et il faut l’aborder. Ça veut dire que chaque fois que l’on peut observer l’impatience en nous, on dénonce ça tout de suite, avant que ça ne s’incruste dans le système nerveux.

Et pour moi, son corollaire, c’est le découragement.

Oui, au fond c’est pareil. Donc quel que soit le contexte, il faut arrêter net l’impatience. Il faut prendre la décision intérieure.

Je pense que ce qui est important, c’est d’avoir identifié le ressenti qui l’accompagne, et stopper immédiatement l’impatience grâce à la vigilance.

Ce peut être un phénomène énergétique, il peut y avoir accélération des vibrations.

Simplement ne pas autoriser, même ça. C’est un mécanisme identitaire.

L’état d’urgence c’est mon fonctionnement de base, il faut que ça aille vite, très vite…

Et toi, S. tu as déjà exploré l’impatience, non ?

Oui, et je connais très bien ces histoires de vitesse qu’utilise l’identité pour m’éviter d’intégrer, petit à petit, ce que je suis en train de découvrir. Pour toi, D., ça semble aller avec le fait d’être vivante, mais ça t’empêche de toucher ton cœur correctement. Et si je reconnais ça, c’est parce que je l’ai vécu. C’est vraiment un piège, parce que l’identité se sert de la vitesse pour éviter les vraies expériences de la vraie vie. Méfie-toi de la vitesse, et savoure ces moments de prise de conscience, même si c’est parfois douloureux.

L’impatience, c’est l’obsession de faire comme Lucky Luke, de tirer plus vite que son ombre ne bouge. C’est comme une addiction. Quand on perd une addiction, on vit des moments de sevrage, et pour toi, D., c’est sûr que si tu te prives de l’impatience, il y aura des phénomènes de sevrage. Tu vas expérimenter le manque, mais c’est transitoire. Si tu rentres dans la souffrance nécessaire du manque, ça passera.

Et le vide associé à ça…

Mais oui, tu vas mourir, c’est l’enjeu ici !

C’est pour ça que dans le fonctionnel, le désherbage est une sacrée école !

Et ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des moments dans la vie où il faut qu’on accélère. Parfois il faut aller vite, mais c’est une réponse au contexte, ce n’est pas de l’impatience.

Oui, ça peut arriver qu’il y ait une urgence, mais ne pas tomber dans la panique.

Là où je peux ressentir de l’impatience dans notre travail, c’est quand je transmets ; mais ça touche plutôt le fait de se mettre dans les chaussons de l’autre, dans la non-séparation. Quand je suis dans l’impatience, je suis dans une forme de séparation.

Oui ; et il y a également cette impatience dans le travail sur soi, que connaissent par exemple N. et D. et que je connais très bien aussi, qui est de vouloir arriver à quelque chose.

C’est un peu le moteur au départ, non ?

Non, le moteur il est un peu avant ; mais bien sûr, on est comme les enfants. Par rapport au travail sur soi, je pense qu’ici plus personne n’est impatient d’obtenir quelque chose de cet enseignement. Est-ce que je me trompe ?

Ce qui me vient, c’est que ça ne m’appartient vraiment pas. Et si ça ne m’appartient pas, ça n’a aucun sens d’être impatient.

L’impatience, c’est comme le révélateur d’une attente qu’on n’aurait pas vraiment perçue.

L’autre niveau, c’est celui qu’on a abordé quand quelque chose ne fonctionne pas vraiment comme on le souhaite. Moi je suis toujours impatient en quelque sorte, mais ça me fait rire. Quand je commande un produit qui me plaît, je vais attendre deux ou trois jours que ça arrive, et je suis comme les enfants. Je laisse jouer le petit enfant en moi, je ne m’identifie pas. Parfois il y a un problème sur la voie postale, mais je ne me sens pas atteint.

Dans la patience infinie, je sens aussi quelque chose de dynamique.

Oui, dynamique et doux.

Cette patience infinie, tu l’as en toi en permanence ?

Je ne sais pas si c’est en permanence, mais je sens que c’est très différent de l’impatience ou de la patience passive. Ça n’a rien à voir, ce n’est pas la même odeur.

Tu n’as pas répondu à ma question.

En permanence, je ne peux pas l’affirmer. Je connais, mais j’ai encore des moments de découragement. C’est quand je suis vraiment dans cette conscience que ça ne m’appartient pas, que je m’en remets à… « Je m’en remets à … » pour moi, c’est la patience infinie.

C’est pour moi un énorme pan de ton enseignement.

Et j’espère que c’est transmissible. Je ne vois pas d’autre moyen que de donner l’exemple, comme les enfants devant l’exemple de leurs parents.

J’ai connu l’impatience avec mes enfants. Si j’étais aussi impatient avec eux, c’est que je ne pouvais pas sentir l’amour. J’avais l’impression d’être tombé dans le piège de la famille.

Chacun doit être incorruptible ; si on ne peut pas être incorruptible, on ne peut pas vivre l’amour.

Comment je peux décider d’être incorruptible ?

Pour être incorruptible, il ne faut pas avoir d’intérêt personnel. Sinon, tu deviens corruptible. Être séduit par une femme, ça veut dire que tu te laisses séduire et il y a de l’intérêt personnel.

Et si c’est juste pour le sexe ?

C’est pareil. C’est pour ça que le sujet de l’impatience a beaucoup d’implications. Dans la vraie vie, il n’y a pas le même rythme que dans la fausse vie. Dans la vraie vie, il y a beaucoup de patience. L’univers est très patient, ça se joue sur des milliers et des milliers d’années. Dans la vraie vie, on n’a plus besoin d’être impatient. Tout vient vers nous, automatiquement, au bon moment. On n’a pas besoin de se précipiter, on va avec. Dans la vraie vie il y a aussi des états d’urgence, mais occasionnellement je dirais. Après on est tranquille, parce qu’il y a ce que j’ai appelé la « détente existentielle » qui s’installe, la plupart du temps. L’impatience est un mécanisme identitaire. On ne peut même pas dire qu’il y a de la patience quand on est dans la vraie vie. L’opposition impatience-patience, ça n’existe plus.