La honte (sans culpabilité) est une porte pour entrer dans le centre émotionnel supérieur.
Je le considère comme aussi important que l’accueil de la souffrance nécessaire et la conscience corporelle.
Faites-nous part de vos observations à ce sujet dans votre propre vécu.
E. : Ressentir la honte permet de baisser la tête et les yeux devant Dieu.
Ressentir la honte permet de reconnaître sa négligence, son erreur, son oubli, son péché.
Ressentir le remords permet de relever la tête, regarder Dieu en face, se pardonner.
Ressentir le remords permet d’assumer sa responsabilité, passer à l’action, réparer.
Ressentir le remords permet d’être soulagé, de se libérer, et de sourire à la Vie.
Le texte d’E. est fort et lumineux. J’ai l’impression de n’avoir rien à rajouter. Je sens bien ce double mouvement : vers le bas pour la honte (tassement et désir de se cacher) et vers le haut pour le remords (redressement et élan vers l’action).
La honte permet cette reconnaissance qui écarte toute justification possible de mon comportement, il n’y a pas de justification possible quand j’ai fauté et le ressenti de la honte me permet de m’y confronter. Ressentir la honte me conduit au remords sincère et à retrouver l’innocence, il me permet de prendre des décisions, de faire des ancrages pour ne pas oublier, pour éviter de refaire les mêmes erreurs, et de réparer si possible. Dans mon vécu, la honte et le remords ont une place centrale ; ce sont eux qui m’ont remis dans le droit chemin et fait prendre des décisions existentielles. Avec la boussole du cœur, ils ont orienté ma vie, ils ont été et sont toujours pour moi un chemin d’accès vers l’humilité. Mais ce n’est pas quelque chose qui est intégré dans ma vie quotidienne, il faut que ce soit flagrant pour que j’en prenne conscience et que je ressente la honte, il y a certainement beaucoup de hontes « potentielles » à côté desquelles je passe ou que j’évite.
La honte, c’est un sentiment qui m’accompagne depuis longtemps, mais je ne savais pas vraiment de quoi il s’agissait jusqu’à ce qu’on évoque en détail ce sujet. Ne pas pouvoir reconnaître ce sentiment me plongeait dans une sorte de gêne, je trouvais bizarre de me mettre dans de tels états souvent pour de très petites choses. J’avais l’impression que c’était exagéré, ne le voyant pas s’exprimer chez des personnes de mon entourage. Cela a été un grand soulagement quand nous en avons discuté et ça a permis qu’une des pièces de mon puzzle personnel se mette tout naturellement en place. J’ai pu ainsi valider que le désir de réparation instantané que je ressentais après avoir eu honte était lui aussi normal. J’ai longtemps cru que c’était pour esquiver la sensation qui chez moi est très vive, mais en réalité, il s’agit juste de la suite logique et saine du sentiment de honte, et cela n’exonère pas de continuer à la ressentir.
S’arrêter à la structure superficielle de la honte peut suffire pour se donner bonne conscience, incite à nier les conséquences, à faire l’autruche, à s’auto-apitoyer, à s’enfermer dans l’auto-jugement, à culpabiliser en nourrissant de la souffrance inutile. Il y a un deuxième niveau, une structure plus profonde. Pour ressentir du remords, je dois faire preuve d’humilité, faire un examen de conscience, assumer mon imperfection, ma responsabilité, faire acte de contrition. Je dois accueillir en moi la souffrance nécessaire qui accompagne ce sentiment. En éprouvant du remords, je fais preuve de dignité, je vis une transformation, je m’achemine vers une plus grande humanité, je m’ouvre à une dimension sacrée : l’amour.
J’ai pu observer que les opportunités de ressentir de la honte sont régulières. Et qu’il faut une grande vigilance pour écarter les mécanismes identitaires d’évitement (comme par exemple la culpabilité), afin de pouvoir accéder au ressenti de la honte. La honte me renvoie à l’humilité et au surrender. Puis au vide et à la compassion envers tous les êtres, moi-même inclus. Le remords, quand il est là, agit comme un rappel sans jugement de ne plus me laisser me salir.
Dernièrement, j’ai complètement oublié d’envoyer la convocation à l’assemblée générale de mon association. Lorsque le président m’a appelée pour me faire part de cet oubli, j’ai ressenti une honte cuisante, c’était vraiment pour moi un manquement indigne, surtout parce que j’avais dit que je le ferais. J’ai accueilli cette honte. Très paradoxalement (j’aurais pu être abattue) j’ai ressenti quelque chose physiquement au niveau du cœur et mon corps s’est mis d’aplomb ; au lieu de m’écrouler, j’ai ressenti mes appuis, ma verticalité, et rapidement j’ai su ce que je devais faire. Est-ce là qu’intervient le remords ? Il fallait que j’agisse immédiatement et que je répare ce manquement. J’ai senti une détermination : je me suis donc préparée à passer une nuit blanche, s’il le fallait, pour finir cette convocation. Pas question de fatigue. Finalement, à 1h j’avais terminé. Le lendemain matin, j’ai pu faire les dernières vérifications avec le président, et la convocation a été envoyée in extremis.
Ce n’est pas très clair pour moi la nuance entre honte et remords : ce que je peux en dire c’est que le ressenti de honte, présent notamment à la suite d’une prise de conscience que j’ai trahi une valeur ou un engagement, est un poids, un signal très fort qui me mobilise physiquement. Je pense comprendre que le remords est le passage qui suit le poids et qui me fait bouger, abandonner dans l’instant une tâche pour aller réparer la faute. C’est cette urgence à réparer qui me permet ensuite de me sentir à la fois légère et douce, avec la sensation d’être bien petite et bien grande à la fois. Je répare et me répare et réintègre l’espace de la vraie vie.
La honte que je ressens assez régulièrement concerne certaines actions que je fais ou paroles prononcées, elle apparaît le plus souvent lorsque je dérape en n’accueillant pas une souffrance nécessaire, ce qui laisse émerger par exemple, colère, arrogance ou impatience, avec ensuite l’apparition de la honte et du remords. Je ne peux pas dire que le processus soit vraiment fluide et clair pour moi, car j’ai l’impression d’éviter au maximum le fait de ressentir de la honte. Il y a une peur sous-jacente, celle d’un anéantissement par la honte. Mais voici comment je perçois tout de même ce processus : ressenti de la honte, admission (reconnaître les faits), reconnaître ma responsabilité, ressenti du remords, qui mène à l’humilité. Ce que je perçois ensuite c’est une sorte d’absolution, une mise à zéro, le pardon et la paix avec moi-même, qui porte une énergie d’action pour faire ou dire quelque chose (par exemple demander pardon) et qui porte aussi l’énergie pour me ré-engager. Dans ce sens, chaque défaillance est une énergie pour me ré-engager dans le travail.
Parce que c’est au cœur de ma croyance de base, je suis de fait très sensible à l’erreur et donc à ressentir ma nullité. Mais le sujet de la honte/remords en a modifié le ressenti. D’une part, je me sens toujours nul, mais ni moins ni plus que les autres. Il y quelque chose de moins ego-centré dans ce ressenti. D’autre part, il y a l’humilité et le fait de se pardonner qui donnent un autre élan. Il y a de nombreux petits moments de raté et de honte dans mon quotidien. Je les traverse dans l’accueil de la souffrance nécessaire et je ressens simplement mon humanité. Et il y a des plus gros moments : au niveau professionnel, je travaille actuellement sur une mission où je suis sensé amener une expertise, mais en pratique, pour de multiples raisons, j’ai l’impression de ne pas être au niveau. Fort sentiment de honte et d’impuissance. L’importance du travail sur la honte/remords ici, c’est qu’au lieu de me flageller et de m’enfoncer dans l’auto-apitoiement ou les défenses-excuses, j’essaye de me pardonner et de repartir à chaque intervention, à partir de là où je me trouve. Les dialogues internes du type « j’aurais dû faire ceci ou cela » partent à la poubelle. Ça donne un ressenti de souffrance diffuse mais non bloquante. Comme un karma à assumer en toute humilité.
Avoir honte sans résistance atténue le besoin de justification, de déformation ou d’évitement. La honte est à la fois la conséquence de mes échecs, la reconnaissance honnête de mes manquements et me permet d’appréhender les conséquences des résultats qui en découlent. La honte donne à réfléchir. Lors de son passage, elle laisse derrière elle lucidité et humilité. Si des mesures s’imposent pour améliorer la situation, je ferai ce qui doit être fait.
Merci madame honte à ta voix douce qui m’indique que je m’écarte de mon chemin. Merci monsieur remords à ta force qui me permet de me remettre sur la bonne route.
De mon vécu, la honte permet de prendre conscience de sa propre nullité et reconnaître ses attentes et exigences, de reconnaître et accepter ses faiblesses pour ne plus en accabler les autres. La honte tue la prétention et l’arrogance. Les remords permettent la reconnaissance de l’autre et de soi, l’acceptation de sa valeur et la compassion. Ils permettent l’expression de la réparation et du pardon et l’immersion dans la dynamique de la vie réelle.
Je me rappelle avoir ressenti une terrible honte, concernant le fait qu’après avoir mis un pied dans la vraie vie j’avais perdu ce vécu au bout de 5 ou 6 mois. Je l’avais évoqué en groupe et la honte ressentie m’avait envahi et fait pleurer à chaudes larmes pendant ce témoignage.
Et je sais qu’un terrible remords m’avait poussé à tout reprendre à zéro, alors que plus rien ne semblait marcher et que je me retrouvais englué dans ma merde. Je dois dire que le remords a été le fuel pour réagir à cette « chute », à ne pas l’accepter, à ne pas m’y résigner.
J’ai un autre exemple récent : lors de notre dernière rencontre, j’ai fait quelques erreurs par oubli ou négligence, que l’instructeur m’a immédiatement pointées. J’ai ressenti la honte de ne pas être fiable ! Et le remords m’a poussé à m’installer puissamment dans la vigilance et la conscience corporelle, de façon à ne pas retomber dans la négligence. La honte est une reconnaissance, en moi, de mon échec, plus que de ma faiblesse. Elle est relative à quelque chose que je peux faire, que je dis faire mais que je néglige. Le remords génère une force nécessaire au « rachat de la faute ». Elle suscite une forme d’engagement intérieur afin de ne plus fauter.