Note au lecteur : le bleu italique correspond à l'instructeur ; en noir, les autres intervenants.

Gratitude

Je me suis rendu compte que nous n’avons jamais vraiment abordé la question de la gratitude, de ce qu’elle est profondément. Comment la ressentez-vous ?

C’est de l’amour, c’est du moins comme ça pour moi chaque fois que je ressens de la gratitude, elle vient toujours avec le sentiment d’amour, c’est un merci infini qui vient du cœur pour toutes les bonnes choses qui nous arrivent. Pour moi actuellement le fait de pouvoir perdre mon corps et mon mental subitement, de mourir à tout moment, ça a entraîné tellement de prises de conscience effectives, c’est un cadeau d’une valeur inestimable que je reçois, et je remercie quotidiennement pour cette grâce. Donc la gratitude chez moi va avec la conscience, sans conscience comment puis-je apprécier à sa juste valeur le cadeau que je reçois ?
Plus je suis conscient et plus je ressens de la gratitude ; lorsque je sais au plus profond de moi que mon intelligence limitée, ma volonté faiblarde, mon mérite dérisoire ne sont que des pâles reflets de la conscience créatrice, alors je lâche prise, je laisse glisser les oripeaux qui cachent ma misère et je dis merci, merci, merci à l’infini ! Et j’en profite pour exprimer la gratitude que je ressens pour notre instructeur, pour vous tous dans le groupe, chacun et individuellement, celle que je ressens pour tous les instructeurs qui ouvrent la voie depuis des millénaires et sans qui rien ne serait possible, et la Vie qui nous contient tous et tout, au-delà de l’espace et du temps.

Le sentiment que TOUT nous est donné. Notre incarnation est une grâce. Chaque souffle peut être gratitude. Chaque inspir pour en prendre conscience, chaque expir pour rendre grâce.

En arrière-plan et de façon presque effacée, je perçois aussi ma petitesse et mon impuissance, et en même temps mon intégration totale à ce miracle permanent dont je bénéficie à chaque seconde et auquel je participe. C’est dans l’humilité que se déploie la prise de conscience de ce miracle, la gratitude, cet amour et cette reconnaissance (dans tous les sens du terme).

Quand je suis dans la gratitude, je suis dans l’humilité, dans la sérénité, la paix, la plénitude.
Je suis dans l’unité, dans l’amour, dans la dignité humaine.
Je me sens touchée, bénie.
Je me sens unie à la Vie, je me sens unie à Dieu.
Quand je suis dans la gratitude, je rends grâce à la Vie.
Je remercie pour les bénédictions, les faveurs, les grâces divines qui me sont accordées, quelles qu’elles soient, qu’elles qu’en soient les épreuves, sans jugement.
En vivant la Gratitude, la valeur divine de l’être s’exprime en toute liberté, s’épanouit, et s’unit à tout ce qui l’entoure, au Tout.
En vivant la Gratitude, je contemple la Perfection et l’Intelligence de la Vie.
En vivant la Gratitude, je Vis !

Je ressens la gratitude comme la conscience de la reconnaissance de ce que je suis et de ce qui est.

J’ai observé depuis quelques temps que la gratitude s’exprimait à travers moi d’abord physiquement et de façon spontanée : une ouverture chaleureuse dans la région du cœur qui s’étend dans toutes les cellules de mon corps et au-delà, jusqu’à cette impression que cela remplit tout l’espace, et que tout l’espace me remplit. Oui, comme une respiration. Un Merci ensuite qui surgit souvent sans raison particulière et qui peut aussi être associé à un événement, un être, une situation, pas forcément joyeuse ou positive.
Je ressens la Gratitude le plus souvent comme un Merci sans cause, un Merci d’être, et d’être consciente d’être.
Cela m’apparaît comme l’état naturel d’un être humain.

Dans le silence, la réponse est venue du cœur : la gratitude c’est le cœur qui se dilate à n’en plus finir avec immensément de douceur ; et avec les mots, c’est un merci à tout et tous.

Je trouve le thème de la gratitude extrêmement intéressant et subtil.
Il y a deux points clés dans mon exploration :
1) Quelle est la nature de la gratitude ?
2) Quelle est sa spécificité par rapport à d’autres aspects comme la joie, la compassion, la paix, le sentiment d’unité…
Sur le premier point, il me semble que je peux distinguer plusieurs graduations de gratitude, du remerciement avec une cause identifiée à une gratitude très vaste, sans objet, qui me traverse sans cause apparente, cette gratitude envers la vie dont plusieurs ont témoigné. Il me semble que les « petits » mercis avec causes sont des reflets de la grande gratitude sans cause, comme un amour « particulier » est un reflet d’un amour inconditionnel envers le grand tout. Je perçois l’amour, ainsi que la gratitude, comme une porte entre l’individu et l’infini, une passerelle entre le « je suis » et le grand tout. Une autre façon de l’exprimer serait qu’ils m’apparaissent comme des expressions de la valeur de base, ou essence.
Mais parce qu’il s’agit d’un ressenti « individuel », il peut être très vite récupéré par la fausse personnalité. L’ego peut s’identifier facilement à ce ressenti d’amour, de gratitude ou de tout autre aspect (joie, sérénité…). Ça peut devenir « je suis une belle personne, parce que j’ai le cœur ouvert, parce que je sens la gratitude et l’amour universel », alors qu’en réalité, je suis juste traversé par quelque chose qui me dépasse, qui ne m’appartient pas et que je ne peux ni provoquer, ni maintenir. Tout juste savourer quand ça passe !
Il me semble que la clé ici, c’est de vérifier qu’au moment où l’on ressent de la gratitude, on reste dans la non séparation.
Concernant le second point, de la même façon qu’on peut distinguer de nombreux mécanismes identitaires, on peut distinguer de nombreux aspects d’essence ou de nombreuses expressions de la valeur de base. Je me reconnais pleinement dans la formalisation d’Almaas que je cite ici : « En d’autres termes, non seulement l’Essence est la présence pure et authentique de notre être, l’êtreté ontologique de notre âme, mais cette présence se manifeste dans et à travers diverses qualités expérientielles qui sont clairement perceptibles. Alors l’Essence se présente aussi comme la douceur de l’amour, par exemple, ou la chaleur de la compassion, ou le feu de la force, ou la solidité de la volonté, ou le silence de la paix – en fonction des besoins de la situation particulière ».
Ce qui me parait important ici, c’est de bien distinguer une qualité d’essence par rapport à un état émotionnel. La qualité d’essence peut n’avoir aucune cause, et elle ne se vit pas dans la comparaison ou dans la dualité. Je peux opposer joie/tristesse comme état émotionnel. Par contre, il existe une joie sans objet comme une gratitude venue de nulle part, qui sont l’émanation de cette qualité d’essence.
Je dois dire que pour moi, parfois la frontière est fine, et je continue d’explorer la distinction entre état émotionnel et qualité d’essence.
Pour moi, la gratitude est un aspect de l’essence. Sa spécificité est dans le ressenti de l’ouverture du cœur, associée à ce mouvement d’accueil, ce mouvement de recevoir au plus profond de son être. C’est comme si l’amour infini de l’univers se concentrait dans mon cœur et le fait alors exploser.

Dans mon cas c’est un déploiement doux, émanant, rayonnant.
Il me semble en essayant de me rappeler des moments de gratitude, d’amour inconditionnel, des moments où j’ai été touché par une forme de beauté émanant d’un instant, d’un spectacle (…), que lorsque ça me traverse, je sais inconsciemment mais de façon précise que ça n’est pas moi, que ce n’est pas de moi que cela vient. Il y a presque en arrière-plan une légère surprise, là aussi très douce. Je sais que c’est un cadeau, une révélation temporaire de ce que « je suis » et c’est très souvent suivi d’une forme de gratitude.

La gratitude « sans » objet renvoie à l’essentiel, la gratitude « avec » objet renvoie au fonctionnel, à la vie quotidienne, à « la dualité légitime ». Je ne les oppose pas comme je n’oppose pas les racines et la cime, elles sont complémentaires pour faire un arbre.
Je trouve intéressant que le Larousse propose comme synonymes pour ingratitude : méconnaissance et oubli.
Méconnaissance, oubli de soi dans l’essentiel. méconnaissance, oubli de son devoir dans la dualité.

Pour moi la gratitude procède de l’humilité et la renonciation aux désirs. C’est une ouverture et un accueil de ce qui est dans une présence corporelle et spirituelle renouvelée d’instant en instant.

C’est ressentir chaque instant sans se laisser perturber par les désirs et avec une sorte de recul entre soi et les choses, qui, paradoxalement est 100% compatible avec l’aspect fonctionnel de la vie.
C’est une disponibilité à soi et aux autres dans le déploiement de la vie.
Et pour répondre à la question, je perçois la gratitude comme un espace où tout se résorbe dans l’acceptation et la reconnaissance fondamentale, de ce que je suis et de ce qui est.
Et j’aurais aussi tendance à dire que c’est quelque chose qui redonne aux détails, aux banalités et aux choses terre à terre, leur importance manifeste et leur beauté.

La gratitude est le sentiment d’être reconnaissant, qui apparaît lorsqu’on reçoit un cadeau. Je ressens une chaleur généralisée et une grande douceur. J’ai remarqué que certaines personnes se coupent de la gratitude. Pour ma femme par exemple, gratitude signifie endettement. Elle ne supporte pas l’idée de devoir quelque chose en retour, car cela sous-entend perdre le contrôle. Elle se précipite donc pour « rembourser » la gentillesse qui lui a été faite. J’ai pu identifier ce trait psychologique chez elle parce que j’ai remarqué qu’elle n’a jamais pu s’harmoniser dans une « attention commune », par exemple lorsque deux personnes agissent en symbiose pour accomplir un but. En approfondissant ce thème, je me suis rendu compte que la symbiose apporte la gratitude.

La gratitude se ressent effectivement au plus profond de soi envers la vie qui nous traverse et nous anime. Elle est en fait toujours là, avec des formes d’expressions différentes, pudeur ou exaltation, selon les mouvements des événements que la vie nous amène à vivre, selon le contexte, mais essentiellement toujours présente au-delà même des émotions. Elle s’exprime dans la force d’un Merci à tout, pour tout, avec ou sans raison, Merci d’être dans le souffle de vie qui habite notre profonde solitude, et la reconnaissance d’une humilité qui se déploie et nous envahit lorsqu’on s’abandonne sans limites à l’acceptation de tout.
J’ai récemment ressenti un profond lâcher prise en salle d’anesthésie avant d’entrer au bloc opératoire. Juste avant de m’endormir, j’ai senti avec surprise, sur ma joue, une larme couler sans bruit, sans peurs ni angoisses, et j’ai goûté ce souffle de gratitude ultime à la vie, et l’ai laissé m’envahir dans une détente totale avec pour seul mot sur mes lèvres : merci…

Pour moi la gratitude, c’est cette dilatation qui arrive, sans cause apparente, sans objet, et je ne trouve rien à en dire, c’est au-delà des mots. Aujourd’hui, j’étais sous une averse diluvienne, bloquée dans un parking d’hôpital, trempée jusqu’aux os, et la gratitude était bien là, sans aucun effet émotionnel, stable, légère et solide à la fois, subtile, invisible… Et c’est comme une gratitude au carré que je sens ce soir.
C’est ce « merci » qui est lui-même un cadeau immense, et qui se répond en boucle, à l’infini.

C’est l’unité de l’univers qui s’embrasse de tout son cœur.

R., pourrais-tu nous parler un peu plus de ces prises de conscience survenues en raison de cette proximité avec la mort ?

J’ai davantage le sens de ma responsabilité avec l’existence et avec moi-même, ce qui signifie vigilance maximum, ne pas me laisser aller, et tout simplement vivre l’enseignement avec encore plus de sérieux. Finalement rien de plus que ce que vous faites tous vous aussi, avec juste un « bonus/booster », d’où mon sentiment de gratitude très fort pour ce cadeau inestimable, que je vis comme une grâce. La conscience de la mort aide à dissoudre les identifications, elle aide à se défaire du superflu. Les prédispositions psychologiques n’ont pas toutes disparues, certaines ont l’air encore bien résistantes, mais je ne m’y identifie pas quand elles apparaissent.

Remercier de ressentir cette gratitude dans son immensité infinie ne peut être que le rappel de se sentir concerné dans son propre engagement à la servir, lui rendant grâce à son tour de ce qu’elle anime dans nos actions, en vivant cette réalité qui nous relie. Nous portons la responsabilité de répondre à cette gratitude pour la rendre vivante dans l’action, à travers une attention portée avec soin à tout ce qui vit.