Note au lecteur : le bleu italique correspond à l'instructeur ; en noir, les autres intervenants.

Dialogues avec Jeff Wises (1999)

Est-ce que le processus a bien fonctionné pour les gens qui ont participé à tes ateliers ? Est-ce que certains ont atteint l’état souhaité ou est-ce que cela demande une longue pratique ?

Entrer en contact avec la croyance de base en soi-même est un début. Ce qui se passe après cet événement est très différent pour chacun. Selon mes observations, certains continuent ce travail sur eux-mêmes plus sérieusement, d’autres moins et les autres remettent à plus tard. Tout dépend quelle est la profondeur de la priorité à vouloir s’éveiller. Le plus souvent, je laisse chacun prendre ses responsabilités ; nombreux sont ceux qui ont fait la formation avec moi et que je n’ai pas revu depuis. Certains m’ont recontacté après quelques années, d’autres continuent à travailler avec moi.

Le phénomène de l’identification avec autrui en transe profonde est un thème qui m’intéresse depuis longtemps. C’est un processus hypnotique grâce auquel quelqu’un régresse dans le passé, avant la formation de son identité. Ensuite, on lui demande de se réveiller en tant que quelqu’un d’autre. Plus on en sait sur l’autre personne, mieux on peut « devenir elle ». Si le processus est poussé au maximum, la personne ne se rend pas compte qu’elle est quelqu’un d’autre. Je me demandais si la perception pré-sensorielle pouvait être réalisée en s’identifiant avec quelqu’un qui la vit déjà. Qu’en penses-tu ?

Quand quelqu’un vit le phénomène que tu décris, il s’identifie momentanément à quelqu’un d’autre. Je ne pense pas qu’il régresse vraiment au stade précédant la formation de son identité. Ses mécanismes identitaires sont simplement suspendus temporairement: il est dissocié de sa propre identité, mais elle est encore là. Si tu fais cela avec quelqu’un qui est allé au-delà de l’identité, il est fort probable que tu puisses « devenir » sa façon de fonctionner. Mais si tu as encore ton identité, tu ne seras pas capable de reconnaître le vide qui est le centre de quelqu’un dont l’évolution personnelle est terminée. La perception pré-sensorielle ne peut pas être modélisée, c’est seulement en toi-même que tu peux la redécouvrir.

À propos des différentes façons dont les personnes soi-disant libérées parlent de l’éveil : s’il n’y a personne pour s’attacher aux croyances, comment pourraient-elles avoir des idées différentes à propos de quoi que ce soit ?

On ne peut pas savoir si quelqu’un d’autre vit la réalisation, on ne peut savoir que pour soi-même. Lorsqu’il n’y a plus d’attachement à aucune croyance, toutes les idées différentes à propos de quoi que ce soit deviennent possibles. Chaque personne qui vit cela et qui essaie de mettre en mots ce qui ne peut pas être formulé, vit de façon unique un aspect différent de la même chose (j’ai appelé cela « la valeur de base »). Cela peut résonner comme une croyance pour quelqu’un qui le lit ou l’entend, mais ce n’est pas une croyance pour celui qui parle. Tu peux essayer de trouver ce que ces différentes personnes, qui disent vivre la réalité ultime, ont en commun.

Est ce que ton expérience intérieure a des submodalités que tu pourrais décrire ? À quoi cela ressemble-t-il ?

La libération n’« arrive » pas au niveau auquel on fait l’expérience de la vie. Elle n’a aucune submodalité. Ce n’est ni une expérience, ni un état intérieur particulier. Comme je fais de la PNL, je l’ai appelée perception pré-sensorielle. C’est au-delà et en même temps c’est l’origine de « vakog » et des submodalités. Au niveau de l’expérience vakog, le « non-événement » de libération ne change rien. Je ne suis pas ce dont je fais l’expérience. Le fond global de ma perception pourrait être appelé vide ou rien (cela doit être pris au sens littéral) ou perception pré-sensorielle. C’est là où chacun est centré (bien que la plupart des gens se définissent eux-mêmes par ce dont ils font l’expérience), et alors seulement, comme extension naturelle, il y a l’expérience des submodalités et tous les autres mécanismes mentaux comme les stratégies, valeurs, croyances, etc.

Au lieu d’essayer de fuir quand je sens monter un inconfort à l’intérieur de moi, je l’observe en regardant d’où il a surgi. C’est un peu comme penser en marche arrière. Ce n’est pas que c’est un effort à faire, c’est un non-effort. Mais la difficulté est d’être honnête avec ce que je ressens.

Oui, être sincère envers soi-même est de la plus haute importance. On peut dire aux autres ce que l’on veut, on ne devrait jamais se mentir à soi-même. Mais ce n’est pas facile du tout et cela demande de l’entraînement, encore et encore. La tentation de se mentir à soi-même est toujours là. Plus tu es honnête envers toi-même, plus tu souffres de ne pas être libéré. Et plus tu es en contact avec cette sorte de souffrance, plus grande est la chance de se libérer.

Il est important d’avoir une identité saine pour pouvoir se défaire de cette identité, mais j’ai l’impression de n’avoir jamais eu une identité saine.

Il me semble que ton identité est arrivée à un certain point de maturité. C’est cela le critère, il ne s’agit pas qu’elle soit saine.

La PNL est orientée vers les résultats. Avec ce travail intérieur, les résultats ne font pas partie du jeu. Est-ce que je peux encore atteindre des résultats dans mon environnement extérieur, alors que ce n’est pas ce que je recherche dans mon environnement intérieur ?

Quand l’identité fait faillite, il n’y a plus rien à atteindre. Le « résultat » ultime d’une vie humaine est la libération. Alors tu es libre. Et selon les circonstances, tu peux ou non utiliser la PNL pour atteindre des résultats dans l’environnement extérieur. Il n’y a aucune raison de ne pas utiliser la PNL.

J’ai parlé de cela à ma petite amie et elle se demande si une relation peut survivre à la mise à nu de la croyance de base. Quelle est ton expérience ?

Certains de mes amis ont « travaillé » avec moi depuis un bon nombre d’années, bien que leurs conjoints ne soient pas du tout préoccupés par les questions existentielles. Dans ce domaine, les circonstances extérieures, quelles qu’elles soient, n’ont aucune importance. L’intimité d’une relation ne peut jamais être aussi intime que la découverte de la réalité. Ce qui se passe, c’est que la plupart des relations sont fondées sur l’erreur fondamentale que l’autre doit remplir les creux, alors que c’est le travail de chacun, par et pour soi-même. Celui qui désire vraiment la libération doit comprendre que la libération est une affaire personnelle – qu’on soit ou non en relation. Donc, quelle que soit la situation, que tu sois en relation avec quelqu’un ou non, cela ne fait aucune différence.

Penses-tu que l’évolution a lieu par étapes ? Je ne veux pas dire des étapes successives, mais plutôt est-ce qu’il faut s’occuper de certaines choses avant d’autres ?

Cela fait généralement partie du chemin, mais je ne pense pas qu’il y ait des étapes qui puissent être généralisées pour tout le monde. La libération est plus un processus digital qu’un processus analogique. En général, un vrai chercheur est poussé de temps à autre dans ce que nous pourrions appeler la « réalité ». Il s’agit de stabiliser ceci pour que la réalisation devienne permanente.

Peut-être que je ne peux pas m’établir là tant que d’autres choses ne sont pas clarifiées.

Clarifier certaines choses peut être utile. Mais c’est très difficile, voire impossible, de savoir par soi-même quelles sont les choses à clarifier. Pour qu’il y ait stabilisation, cela nécessite une faillite personnelle complète.

J’aimerais revenir sur ce qui m’est arrivé dans la fontaine (cf transcription : La percée existentielle), à ce moment-là plusieurs points étaient absolument évidents :
1. C’est toujours ainsi que les choses sont et qu’elles ont toujours été.
2. Je n’aurais pas pu faire cela par moi-même, j’avais besoin d’un « coup de pouce » supplémentaire.
3. Et surtout : RIEN N’A D’IMPORTANCE.

Oui, c’est cela ! Ça montre vraiment que tu as eu une profonde réalisation du réel.

Si je n’en avais pas fait l’expérience par moi-même, je penserais que c’est un tissu d’âneries. Ce qui est curieux c’est qu’après coup, j’ai remarqué un ressenti qui disait quelque chose comme « oh attends, tu as raté ceci… ». Ce sentiment est apparu très brièvement et s’est ensuite dissout. Mais je me demande maintenant si je n’ai pas éventuellement raté certaines « étapes ».

Non, tu n’as rien raté. Et je parie que c’était une pensée plutôt qu’un ressenti. Le mental est tellement rusé, mais c’est TOUJOURS « juste une pensée ». Le truc est de ne pas croire en ces pensées, de ne pas les maintenir. Laisse-les s’en aller sitôt qu’elles surgissent. Mais il faut savoir qu’elles ne disparaîtront jamais complètement.

Comment est-ce que l’on se débarrasse de toutes ces croyances ? Elles sont parfois tellement convaincantes qu’il faut l’intervention de la grâce pour les reconnaître.

Exact. Reconnaître ses croyances requiert compétence et vigilance. Une fois reconnues, on peut les laisser tomber. Cela doit être fait à chaque fois qu’une croyance fait surface. Cela ne peut pas être fait une fois pour toutes. Et l’on doit s’habituer au vide qui émerge quand il y a absence de croyance. Un « état d’être » très étrange au début. Les croyances, ce sont aussi les interprétations, opinions (relis les passages sur les croyances exposées dans mon livre, particulièrement le dernier chapitre). Dès maintenant, tu peux commencer à constater ce que tu perçois. Constate simplement : je vois les mots que je suis en train de lire, j’entends ce que j’entends, je ressens ce que je ressens. Sans aucune interprétation, juste des faits, des constatations. Cela fait partie de la perception sans croyance. Apprendre à s’en tenir aux faits chaque fois que c’est possible. D’ailleurs, il n’y a jamais rien d’autre dans la perception directe. Les croyances corrompent la perception du « maintenant » ; elles sont toujours orientées vers le futur ou vers le passé. Lorsque tu reconnais une croyance, tu peux simplement la jeter, comme on jette les ordures. En faisant cela très souvent, tu deviens expérimenté. L’espace entre la gueule du chat et la queue du chat est le vide– sans-croyance.

Moins l’on a de croyances, plus profondément on peut aller en soi-même. Est-ce exact ?

Pas vraiment. Pour moi, il n’y a pas de plus profond. C’est un phénomène digital : soit il y a une croyance, soit il n’y en a pas. Les croyances n’arrêtent jamais de surgir. Le truc est de les reconnaître à l’instant même où elles émergent et de les dénoncer immédiatement.

J’ai peur de perdre mon sang-froid si je laisse toutes mes émotions négatives émerger. Des suggestions ?

L’attitude globale ici est de ne pas réprimer ET EN MEME TEMPS de ne pas exprimer les ressentis désagréables lorsqu’ils émergent. Quand il y a quelqu’un ou quelque chose qui réveille ces ressentis en toi, alors c’est ton travail d’accepter la souffrance utile (celle qui te fait ressentir la souffrance de la séparation issue de ta croyance de base). Essaie de ne pas rejeter la responsabilité sur les circonstances ou sur les autres, qui ont « appuyé sur le bouton ». Très difficile, mais indispensable.

Il m’est arrivé parfois de ressentir beaucoup de souffrance émotionnelle, mais ça n’était pas si dur parce que la souffrance ne faisait pas mal. C’était juste un ressenti. Alors ma question est : qu’est-ce que je fais si ça arrive à nouveau ?

Si ça arrive à nouveau, laisse-le simplement arriver. Ça peut arriver chaque fois qu’il y a une attention particulière, une vigilance particulière. « La souffrance ne faisait pas mal » sonne bien ; la souffrance de ne pas être « un » est une souffrance très particulière et n’est pas comparable aux souffrances connues. Elle ne peut pas être représentée, par conséquent elle ne peut pas être mise en mots; et ce n’est pas possible de la retrouver, ni de l’ancrer, car elle est toujours présente (dans le présent). Être capable de la « ressentir » requiert une sorte très spéciale de vigilance. Plus tu « accumules » cette vigilance-là, plus tu prépares les événements qui rendront « non-toi » capable de vivre l’unité de façon permanente. L’une des conditions pour vivre l’unité de façon permanente est d’avoir cette sorte très spéciale de vigilance (sans jugement) de façon permanente.

Prendre la responsabilité complète de son propre malheur est la plus haute forme de maturité chez les humains. Et ce n’est pas facile.

Exact. Très difficile. Humiliant. Censé faire remonter l’humilité authentique.

Est-ce correct si je dis que toute souffrance dont nous faisons l’expérience prend sa source dans la croyance de base ? Même à partir d’une petite gêne, on pourrait remonter à la souffrance de la séparation ?

Oui, sauf si c’est 100% physique. Tout ce que nous appelons « psychologie personnelle » est un mythe fondé sur des croyances. Nos croyances créent notre existence psychologique et celle de l’autre. Et tant qu’il y a des croyances, jugements, etc., il y a des conflits qui produisent de la souffrance. Prenons une « petite gêne ». Qu’est ce qui se passe ? Il y a un jugement sur la situation. La situation est inconsciemment comparée à une autre qui n’est pas gênante (conflit). Et alors, il y a une petite souffrance. La souffrance n’est pas due à la situation : elle est due à la création d’une préférence en nous-mêmes. Toute préférence crée une séparation (à moins qu’elle soit à un niveau purement fonctionnel) car elle nous sépare de la perception directe de la situation TELLE QU’ELLE EST. Sans jugement, sans préférence, sans croyance, la perception globale est : toute situation est telle qu’elle est, quelle que soit la situation. Tout contexte est tel qu’il est, quel que soit le contexte.

Est-ce que tu pourrais en dire plus sur ce que tu as écrit dernièrement : « Plus tu accumules cette vigilance-là, plus tu prépares les événements qui rendront « non-toi » capable de vivre l’unité de façon permanente » ? Est-ce que ça signifie que j’organise maintenant les événements futurs ?

Non, ça ne peut pas être fait en visant un résultat. Chaque fois que cette vigilance spéciale monte en toi, tu es complètement présent. Quand tu es complètement présent, alors futur / passé n’existent plus. Plus souvent tu es absorbé par cette présence, plus tu crées une certaine substance en toi qui un jour, avec un peu de chance (certains l’appellent grâce), pourrait créer des « événements spéciaux » qui – à nouveau avec un peu de chance – pourraient faire que – à nouveau avec un peu de chance – tu pourrais vivre cela de façon permanente. Nous devons faire tout ce que nous pouvons faire pour en arriver là, mais tout n’est pas sous notre contrôle.

Il y a eu des moments de grande vigilance, et puis ça a soudainement disparu. Je ne suis pas contrarié par cela, mais c’est curieux que ça vienne et reparte. Est-ce le « facteur chance » que tu mentionnes si souvent ?

Oui, en partie c’est la chance, et en partie c’est le processus normal d’une évolution « correcte » (le passage de l’identité au vide). Si le vide était là tout le temps, serais-tu encore capable de « fonctionner » normalement dans la vie de tous les jours ? Probablement pas. C’est pour ça que ce va-et-vient est utile. Pas besoin de se dépêcher. Ça te permet de devenir peu à peu familier avec « le fonctionnement à partir du vide », lorsque ce n’est plus ton identité qui est le centre de tes actions, mais le vide qui donne naissance à ce que tu penses ou fais à chaque instant.

Est-ce qu’il y a des choses qui te dérangent ?

Oui, bien sûr. Est-ce que tu peux en rire quand quelqu’un d’autre est dérangé ? Si oui, pourquoi ne pas le faire quand c’est toi ? Si non, essaie.

Est ce qu’il t’arrive de vouloir quelque chose et de ne pas l’obtenir, et de souhaiter que les choses se soient passées autrement ?

Tout le temps. Heureusement, j’ai appris à ne plus croire aux commentaires de mon dialogue interne.

Comme ce que je cherche est au-delà des opérations normales du cerveau, quasiment tout le travail que je fais dans ce cadre est incapable de le toucher. Est-ce exact ?

Nous devons commencer au sein de ce cadre pour aller au-delà.

Tu as écrit : « Le fond global de ma perception est « vide » ou « rien ». En ce qui me concerne, j’aurais tendance à penser que le fond global, ce sont mes croyances. Est-ce correct ?

Oui, la toile de fond habituelle est ce que j’appelle « la croyance de base ». C’est ce qui fait que l’on croit aux croyances et que l’on croit que nos perceptions sont la réalité.

Je sais que je pose beaucoup de questions. Est-ce que le savoir à propos de « cela » est utile ou pas ?

Penser « juste » est une aide. Travailler avec un modèle adéquat et avec quelqu’un qui « sait » est la meilleure aide. Note que ce que je propose est un modèle. Ne crois pas en l’existence de la « croyance de base », fais plutôt comme si elle existait. « Faire comme si » est très utile pour se débarrasser des croyances. Faire comme si (au lieu de croire que) l’argent existe. Faire comme si j’existais. Faire comme si ma mère existait. Faire comme si ce que je percevais était la réalité…

J’ai remarqué que j’avais une bien meilleure compréhension à propos de certaines choses.

C’est important de garder deux choses présentes dans son cœur :
1. La compréhension réelle mène toujours à plus d’humilité ;
2. La compréhension aide à supporter la souffrance de la séparation, celle de ne pas être libéré ; ça te donne la force de faire face, de ressentir, d’être cette souffrance.
Le plus grand challenge dans la vie c’est… d’être rien. Du point de vue de l’identité, c’est le summum de l’horreur. Quand j’utilise le mot « rien », ce n’est pas un concept intellectuel. Pour être capable de le vivre, nous devons apprendre à ne pas le réprimer. Et en même temps, nous devons continuer notre vie familiale et professionnelle de façon consciencieuse.

Dans ton livre, tu parles de la faculté d’anticipation. Pourrais-tu me donner un exemple de ce que ça signifie ?

Quand il n’y a pas de croyances, il n’y a pas de croyance-filtres. Les perceptions entrantes sont alors traitées par la valeur de base uniquement (et pas par des idées préconçues). La faculté d’anticipation signifie être capable de traiter toute l’information d’une manière qui corresponde à l’évolution et à l’expression de la valeur de base. La faculté d’anticipation s’apparente à « savoir » quoi faire (ou ne pas faire) à un certain moment, sans pourtant « savoir » comment les choses vont évoluer.

Quand je fais l’expérience du non-moi, où était le moi pendant ce temps ? Si ce qui est décrit comme « moi » revient, où est allé ce « moi » ?

C’est comme si tu me demandais : « Eh, Wolfgang, la nuit dernière à 22h05, j’ai pensé à un crocodile durant 5 secondes. Où était le crocodile avant et où est-il depuis ? ».

« Moi » est une invention du mental.

Alors ça signifie que ce que j’appelle « moi » est là seulement parce que je pense qu’il y est. Mais pourtant des pensées apparaissent encore. Qui est l’esprit qui opère derrière toutes les pensées et actions ?

Les mots qui peuvent le pointer sont « rien » et « vide », c’est à partir de « là » que les pensées surgissent et que les actions sont accomplies. Le vide produit ta valeur de base, la plus haute valeur dans la hiérarchie des valeurs. La valeur de base filtre tes pensées et détermine tes actions. Toutes les expressions de la valeur de base s’accompagnent d’une joie enfantine de jouer. C’est ma valeur essentielle qui écrit ce que j’écris.

Pas de « moi » est quelque chose qui n’a pas de signification pour moi.

Exact, ça n’en a pas. La vie simplement EST (ni vide de sens, ni pleine de sens, quand le « moi » a disparu).

Finalement, je ne sais pas ce que je suis. Je ne vois pas comment quelqu’un pourrait un jour vraiment savoir qui il est. Aucune réponse ne convient. Il n’y a aucune chose dont je pourrais dire que je le suis.

Exact. Une « non-personne ».

Est-ce que tu te perds parfois dans le film ? Peux-tu encore rentrer en « transe » ?

La transe profonde n’est rien d’autre qu’une façon spécifique de traiter les états intérieurs et les processus internes. La perception pré-sensorielle n’est pas un état. Elle est toujours présente, totalement indépendante de tout état interne et de toute circonstance extérieure. Même en transe profonde, cette sorte spéciale de vigilance (qui surgit lorsque le « moi » séparateur n’est plus) est présente.

Est ce qu’il y a des choses qui te rendent triste ?

Comme tout être humain, je fais l’expérience des états internes que les êtres humains peuvent vivre, dont la tristesse. Quel que soit l’état interne qui est là, je l’accepte. Je sais qu’il est temporaire (comme tout). Et quand c’est un état désagréable, je ne souffre pas du fait qu’il soit désagréable. Quand le « moi » n’est plus, le centre de la vie n’est pas les états internes, toujours changeants, mais ce qui ne change jamais : le rien.

Le rien, le vide est-il en fait quelque chose ?

Non. Tu es en train d’essayer de faire quelque chose de rien. C’est réellement « RIEN ». C’est quelque chose que la pensée ne peut pas saisir. La pensée ne peut pas le connaître. Ni la pensée, ni rien d’autre ne peut le connaître. Donc pour la pensée, comme pour toute autre chose, cette impensable non-chose est vraiment rien. Pensée, mental, vakog, etc. ne peuvent pas représenter le vide. Toutes ces fonctions sont censées agir dans ce que j’appelle la partie fonctionnelle de la vie.

Toutes tes actions ne sont donc pas issues de ta propre volonté ? Le « rien » agit par lui-même et ton comportement en est une conséquence. Toutes les actions qui se produisent à travers toi sont une surprise. En même temps, il n’y a personne pour être surpris. Alors, comment être dans le « courant » de façon permanente ?

Oui, surprise, étonnement sont de bons mots pour décrire ceci. Il y a un filtrage par la valeur de base, et j’ai l’obligation (que je pourrais refuser) d’agir selon elle. Etre dans le courant ? Oui, il y a quelque chose comme un fil invisible qui semble flotter à travers le temps. Mais cela ne rend pas les événements prévisibles.

À propos de la souffrance de la croyance de base, tu as dit que ça fait partie du processus de devenir la souffrance.

Oui, il est nécessaire d’apprendre comment ne pas éviter de la ressentir quand elle remonte. Cela arrive généralement dans les situations difficiles de la vie, celles qui te font te sentir malheureux. Qu’y a t’il de si mal à se sentir malheureux lorsque tu as appris comment ne plus en souffrir ?

Je n’ai pas vraiment compris. Est-ce que tu veux dire qu’on est la douleur ?

Non, ce serait un peu trop.

On réalise qu’on peut la supporter.

Oui.

Voir à travers le jeu inadéquat de l’ego, réaliser que je peux supporter la douleur, réaliser que l’inadéquation n’est pas ma vraie nature. Peut-être qu’une des stratégies qui maintient l’ego en place est de croire qu’on ne pourrait pas supporter la douleur.

Exact.

Il y a de brefs instants durant lesquels il me semble que je touche la surface de la croyance de base. Je vois alors que toute mon activité consiste à garder mes volets fermés pour ne pas ressentir la souffrance de la croyance de base. Ce n’est pas un ressenti très agréable, et je remarque également de la peur en toile de fond. Curieusement, il y a aussi un sentiment de relaxation. Rester avec ce ressenti demande de l’attention.

Oui, très bonne compréhension. Cette forme particulière d’attention est une caractéristique très importante ; chaque fois qu’elle est présente, essaie de rester avec. C’est un outil non-mental que j’ai mentionné auparavant. Gurdjieff l’appelait le rappel de soi.

Je me demande si je pourrais fonctionner dans le monde tout en allant plus profondément dans la souffrance de la croyance de base.

Aussi incroyable et même parfois miraculeux que cela puisse paraître, on peut fonctionner dans un monde sans croyance. Avec cette nouvelle perception, on n’a plus la certitude de pouvoir encore fonctionner l’instant suivant. Et j’ajoute ceci : tu dois continuer à rester dans l’environnement fonctionnel pour pouvoir vivre cela. L’idée de prendre une année sabbatique et de tout laisser tomber est une idée fausse. La tension qui oblige à se réconcilier avec ce qui semble irréconciliable est très utile dans le processus.

C’est vrai que parfois, j’ai envie de tout quitter et de faire ce travail sur moi jusqu’au bout.

Ça ne serait pas utile.

Et si je n’étais plus capable de savoir qui j’étais, comment est-ce que les choses se feraient ?

Tu n’obtiendras jamais de réponse à cette question à moins d’être vraiment dans la situation. Impossible d’être sûr à l’avance que tu puisses faire les choses. Sois prêt à prendre ce risque. Par expérience, je peux te dire que la plupart des choses que j’ai à faire sont faites, mais je ne sais pas avant de le faire comment je vais y arriver. Le démantèlement de mon identité a été un processus qui a duré trois ans. Je me souviens qu’un jour, je prévoyais de prendre la voiture pour aller quelque part. Soudain, j’ai pensé : comment réussir à conduire ma voiture ? Pas moyen de savoir à l’avance. Il y avait une légère peur d’avoir complètement oublié. Alors je suis monté dans la voiture, mais je n’ai pas su si j’étais encore capable de conduire avant de l’avoir démarrée et d’avoir constaté que c’était encore possible. Puis j’ai appris petit à petit à rester avec ce non-savoir. C’est pour ça que je ne pourrais jamais dire quelque chose comme : je sais que je peux faire ce que j’ai à faire. Non. Je ne sais pas si je vais faire ce que je dois faire. Mais au fur et à mesure on s’habitue à cette insécurité de ne pas savoir. Et la plupart des choses sont faites. Je n’ai plus l’impression que c’est moi qui fais, mais empiriquement, la plupart des choses se font comme si « moi » était toujours là.

En un sens, je ressens que tout ce qui est ma vie est faux.

Tu es en contact avec ta croyance de base. Il est très difficile et parfois insupportable de se voir « objectivement ».

Aujourd’hui au travail, j’ai expérimenté comment l’instant se suffit à lui-même. C’était simplement attendre. Attendre. Presque sans intention. Et pendant que j’attends, de toute façon tout continue. C’était léger et je n’ai pas du tout été « stressé ».

Ça a l’air super. C’est nouveau à chaque fois : il n’y a pas de stratégie. Il y a ouverture, être prêt, un vide qui est ouvert au prochain instant. C’est tout. Attendre sans intention. Et même s’il y avait du stress ou de la lourdeur, simplement ne t’en préoccupe pas. Comme tu n’es pas les états internes que ta machine produit, tu peux passer à l’étape suivante : quel que soit l’état interne présent, ça n’a pas d’importance. Focalise-toi de plus en plus sur ce qui est (présent) sans interprétation, indépendamment des états internes plaisants ou déplaisants. Qualifier un état de plaisant ou de déplaisant est déjà un jugement.

Je ne suis toujours pas au clair sur la valeur de base. Tu m’as dit que planifier une vocation n’était pas la chose la plus intelligente à faire, qu’il s’agit plutôt de la laisser émerger. Est-ce que tu peux me donner un exemple ? Est-ce que tu veux dire qu’il y a un but à la vie sur le plan personnel ?

Juste, il y a un but intrinsèque personnel à chaque vie individuelle. Mais avec la façon dont la société capitaliste structure la vie humaine, il est très difficile actuellement d’être en contact avec ce qui pourrait être appelé sa vocation. Idéalement, les parents ou les enseignants sont censés aider les jeunes à trouver leur voie pour exprimer leurs valeurs les plus nobles. Mais l’intérêt personnel et la course après de fausses sécurités, particulièrement l’argent, le pouvoir et la gloire, ont fait que durant les 150 dernières années cette « connaissance » est tombée dans les abysses de l’oubli. C’est donc à chacun de se battre pour trouver sa destinée par lui-même. Mais ça ne peut pas se faire en se fixant un objectif ; découvrir sa vocation requiert une grande sincérité envers soi-même et un certain « savoir-faire ».

Il n’est pas nécessaire d’être éveillé pour vivre sa vocation.

Tu as raison, ce n’est pas un idéal dans lequel se mouler, mais plutôt une sorte d’aperçu de qui l’on est. Sentir sa vocation est l’un des sentiments les plus subtils et les plus agréables. Ce ressenti n’est pas contextualisé, mais il est comme un guide intérieur invisible. En étant en contact avec lui, peu à peu, tu prendras les bonnes décisions pour que tes talents se développent de plus en plus dans la vie réelle.

À propos des émotions ou pensées négatives : la plupart du temps, j’essaie de « me sentir bien » de façon à rester centré et focus. La pire souffrance pour moi est d’être totalement perdu, confus, et sans vision de ce qui m’arrive. Comme d’être dans un trou obscur avec ma jambe prise dans un piège à ours. C’est réconfortant de pouvoir me reposer dans des ressentis agréables pendant que je rassemble mes forces. Que penses-tu de ceci ?

Peut-être que c’est un bon outil intermédiaire pour rester fonctionnel. Mais fondamentalement, tous les ressentis sont pareils et tous sont hormonels. En fait il n’y a aucun moyen d’éviter la confusion. Pour celui qui aspire à revenir à la maison, il est nécessaire d’affronter courageusement cette confusion. Quand elle est vécue à partir du vide, tout ce qui reste dans la vie est d’exprimer la valeur de base et d’organiser la vie fonctionnelle.

S’il n’y a pas de but ou de sens global à ma propre vie, en quoi ma manière de fonctionner a-t-elle de l’importance ? Ça n’a pas d’importance s’il n’y a pas de but global, alors pourquoi ne pas être paresseux ?

Ce serait vrai s’il n’y avait pas de valeur de base. C’est justement un point que la plupart des enseignements spirituels oublient de clarifier.

La vie a lieu à la fois dans le temps et hors du temps ? Alors est-ce que le temps existe ?

Oui, le temps existe au niveau fonctionnel, mais pas au niveau existentiel.

***

Crois-tu que tu vivras la libération (avant ta mort) ?

Je veux le croire, mais il y a aussi un doute. Il n’y a pas de garanties, et la réalisation complète semble plutôt rare.

S’il y a une croyance comme : « c’est pour quelqu’un d’autre, mais pas pour moi », il pourrait être utile de s’en débarrasser. Qu’est-ce que ça changerait pour toi de t’en débarrasser ?

Ça énergétiserait grandement le processus d’éveil.

Je présume que tu as travaillé sur les systèmes de croyances. Ce que je suggère est que tu travailles régulièrement à diminuer le doute. Travaille là-dessus avec la présupposition que quand tu seras libéré, ni les circonstances habituelles de la vie extérieure, ni ta façon de les gérer ne seront changées. D’après ce que tu décris, il est possible que tu aies eu un aperçu profond de la « réalité » il y a quelques années. Supposons que cela ait été un aperçu authentique, qu’est-ce que cela signifie pour toi aujourd’hui ?

Que cela ait été authentique et réel – là-dessus, je n’ai aucun doute. Pour moi ça signifie que CELA m’est accessible. Je me suis demandé si la PNL pourrait m’aider à y retourner. Le fait que cela me soit arrivé deux fois – en des circonstances très différentes – me laisse penser qu’il existe déjà un chemin neurologique vers cela.

J’aimerais clarifier une chose importante. Tu dis : « Je me suis demandé si la PNL pourrait m’aider à y retourner ». Je présume que tu supposes qu’il y a un chemin pour y retourner, avec ou sans la PNL. Et « qu’il existe déjà un chemin neurologique vers cela ». Je te dis ce que je dirais à un étudiant qui suit mon enseignement : il n’y a pas de chemin neurologique à créer pour atteindre une percée ou la libération. C’est un saut quantique dans le vide, ta propre nature. C’est au-delà de la béatitude et de l’expérience. C’est au-delà de la mémoire. Cela ne peut pas être re-vécu, on ne peut pas y retourner. Les percées ne sont pas des expériences libératrices, elles ne font qu’indiquer qu’il y a quelque chose d’autre. En ce sens, elles sont au même niveau que le LSD ou la mescaline. Ce que je suggère est de ne plus y penser du tout. Si la percée était réelle, tu ne pourrais pas t’en souvenir de toute façon, car le vide ne laisse pas de trace dans la mémoire. Fais comme si tu ne l’avais jamais vécue. Il n’y a rien en elle qui peut être mis à profit. Prendre cela comme une expérience de référence est tout le contraire d’utile.

Lors d’un récent voyage, je me suis laissé entraîner dans de vieux schémas d’émotions et de comportements limitants – insécurités, inquiétudes. Il me semble que ta méthode propose d’aller dans ces ressentis… ?

Non, je n’utilise pas ces émotions, elles sont totalement inutiles. Avec la PNL, on peut apprendre à se dissocier de ces émotions. C’est indispensable pour pouvoir atteindre la croyance de base. Peurs et inquiétudes de toutes sortes sont un obstacle : un mécanisme de résistance pour échapper à la souffrance de la séparation. Comment gères-tu les émotions négatives en général ?

Quand les émotions négatives sont intenses, j’en souffre simplement – je suis pris dans des dialogues internes en grande partie inconscients impliquant une intense autocritique. En société, les règles sociales m’empêchent de me mettre à l’écoute de ce qui se passe en moi. Des fantasmes à propos des perceptions que les autres ont de moi occultent ma propre perception claire de la situation, de mon comportement et de celui des autres. J’ai l’impression de me trouver dans un bateau au milieu d’une rivière avec de forts courants imprévisibles, essayant uniquement d’éviter à chaque instant les rochers les plus dangereux.

D’accord. Je te suggère de lire « Fragments d’un enseignement inconnu »» d’Ouspensky, et particulièrement les passages sur la considération interne et externe.

Quand les émotions négatives sont moins intenses, alors je remarque lorsque je deviens tendu, inquiet ou en colère, je perçois également les tensions physiques, et cela agit comme un ancrage en me propulsant dans la conscience. Je remarque la tension, l’émotion, la pensée, et je remarque aussi que je ne suis pas cela – observant que l’émotion, la pensée, change, bouge et finalement disparaît ou devient autre chose. Mais la focalisation principale devient non pas l’émotion, mais la conscience. Être conscient et éveillé, et rester avec cela.

Bon. Je suggère que tu lises également tout ce qui concerne le rappel de soi dans le livre précédemment cité. C’est important de savoir que la libération est à un niveau logique différent de celui de la béatitude.

En quel sens est-ce un niveau « logique » différent ?

La béatitude n’est pas la libération. Les explosions dans le moteur de la voiture ne sont pas la voiture. Quand tu seras libéré, tu ne seras pas tout le temps dans la béatitude. Cela surgit de temps en temps, sans cause précise. La perception globale est le rien (comparé au « quelque chose » qui est préféré par l’identité).

Je viens de relire les parties du livre d’Ouspensky qui concernent la considération interne : ça a été un rappel très utile. J’ai d’ailleurs remarqué qu’actuellement j’avais beaucoup moins de considération interne.

Le but n’est pas qu’il y en ait moins, mais d’arrêter totalement de la laisser surgir. Je suggère que chaque fois que la considération interne apparaît, tu la remplaces mentalement par la considération externe (qui est d’une certaine manière une anticipation de la non-séparation). Fais comme si chaque personne qui surgit dans ton mental était un étranger amical qui ne te juge pas.

À propos du rappel de soi, tu disais que c’est plus émotionnel que mental. Comment savoir que je le fais correctement ?

Je dirais plutôt que le rappel de soi tend à rétablir une sorte de conscience émotionnelle raffinée, très subtile, pas vraiment saisissable.

Comment sais-tu quand c’est là ?

Le « savoir » est à peine possible. Cela ne peut pas être « su » par le mental et cela nécessite probablement quelqu’un qui « sait » pour te dire que tu y es.

Et comment le retrouves-tu quand tu t’oublies toi-même ?

En me rappelant. Un peu la même chose que ce que tu fais lorsque tu as oublié où tu as mis tes clés.

Tu m’as demandé ma définition de « être branché externe ». Je réalise que je n’utilise pas ce terme exactement de la façon dont il est défini en PNL. Je veux simplement dire l’état qui consiste à être alerte et attentif à ce qui se passe. Essentiellement ce que Krishnamurti appelle « la conscience sans choix ».

Combien de temps dure cet état (en moyenne) ?

Je le maintiens en moyenne entre dix minutes et une heure. En de plus rares occasions, je le maintiens plus longtemps. J’ai également eu l’expérience d’un entraînement soutenu à la vigilance – une retraite de dix jours avec un enseignant Vipassana (qu’il appelait « attention nue »). J’ai découvert récemment que l’« attention à double sens » proposée par Douglas Harding approfondissait beaucoup ce processus.

Qui ou quoi déclenche cet état ?

Presque n’importe quoi : une impression sensorielle, une sensation, une émotion. Souvent, les ressentis négatifs réveillent le besoin de cet état, comme une sorte de régénérateur.

Qu’est ce qui le fait disparaître ?

Toute distraction, comme être absorbé dans un fantasme, le fait disparaître.

Est-ce que tu veux dire que tu commences à oublier quand tu commences à croire à l’existence de représentations ?

Que veux-tu dire par « représentations » ?

Cela correspond au terme « maya » en langage oriental.

Oui, je commence à croire que ce que j’imagine est réel.

La vigilance fait partie du rappel de soi. Cela requiert de la vigilance pour devenir conscient des moments où la « machine » commence à croire aux représentations (prendre maya pour la réalité). Alors, immédiatement, un autre geste intérieur doit être activé : rejeter la croyance-représentation et mettre son attention sur ce qui est perceptible dans l’instant même (vakog externe). « Arrêter le monde » dans les termes de Castaneda. Quand tu es dans le mode de « conscience sans choix », comment sais-tu que c’est sans choix ?

Parce que je ne suis pas en train de sélectionner, ni de choisir, je n’évalue pas ce que je vois (entends, sens, goûte), je remarque simplement ce qui se passe, à l’intérieur et à l’extérieur. Parfois, lorsque la conscience est très calme et claire, il y a l’intuition qu’il n’y a pas d’observateur : tout est, simplement. Cette sorte de conscience est encore très insaisissable : je m’agite, je veux me l’attribuer, en faire quelque chose, ce qui la dérange, bien sûr.

Oui, bien sûr. Elle reste toujours très insaisissable. Il n’y a pas moyen de la rendre moins insaisissable – cela la ferait disparaître. Améliorer la vigilance et le rappel de soi est le seul moyen de garder vivante cette intangibilité.

Comment puis-je me rappeler plus souvent, de façon plus constante ?

Une des meilleures choses à faire est de se réveiller deux fois le matin : d’abord le réveil habituel, et tout de suite après le rappel de soi et d’aller se coucher en rappel de soi. En outre, il est utile de se remémorer les principales activités de la journée dans l’ordre chronologique avant de s’endormir. Pour se rappeler de façon plus constante, tu dois vérifier aussi souvent que tu le peux si tu es en rappel de soi ou non. Si tu l’es, alors essaie de rester avec, et si tu ne l’es pas, essaie d’y retourner. Essaie aussi de trouver (pas à chaque fois, mais de temps à autre) ce qui précisément a fait que tu t’es oublié dans cette situation spécifique.

Tu as dit qu’il ne peut pas y avoir d’ancrage pour le rappel de soi. Cependant, il est possible de créer des ancrages pour « être branché externe ». Serait-il profitable de faire cela, en tant qu’aide au rappel de soi ?

Ça dépend. Une fois que tu « sais » réellement (de façon non intellectuelle et non émotionnelle) quelle est la différence entre le rappel de soi et « être branché externe » (ce qui signifie aussi que tu es capable de « savoir » ce qu’est le rappel de soi), tu n’as plus besoin d’ancrer « branché externe ». Le rappel de soi est à un niveau logique supérieur à celui de « branché externe », il contient la perception non séparatrice et utilise les énergies du centre émotionnel supérieur ; il requiert beaucoup plus de vigilance. Une fois que tu connais le rappel de soi., tu peux laisser tomber l’exercice d’« être branché externe ». Comme le rappel de soi est une conscience indéfinissable (elle ne peut jamais être complètement saisie), on doit en général avoir un enseignant qui « montre » ce qu’il est et ce qu’il n’est pas.

Je pense que j’ai la notion de ce que c’est. Certaines des « expérimentations » de Douglas Harding m’aident à y entrer. Penses-tu que ce soit possible ?

Autant que je connaisse ces exercices (j’en ai fait certains lors d’un atelier avec lui il y a plusieurs années), ils sont utiles mais pas suffisants pour entrer dans le rappel de soi. Quand tu les fais, est ce qu’ils te mettent dans un état de conscience particulier ? Un état différent de tous les états internes « habituels » ? Si oui, alors ce n’est pas le rappel de soi.

Il y a deux possibilités : soit ces expérimentations sont « objectivement » insuffisantes pour entrer dans le rappel de soi, soit ils n’ont pas fait « tilt » pour toi à l’époque où tu les as fait lors de l’atelier avec lui.

Je savais déjà ce qu’était le rappel de soi quand j’ai fait l’atelier avec lui. À mon humble avis, la méthodologie globale de son enseignement n’est pas suffisante pour les gens qui aspirent à s’éveiller. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas utile de faire ce qu’il suggère. Les exercices pointent nettement sur notre propre nature : le vide.

En ce qui me concerne, les exercices n’ajoutent rien à mes états internes habituels, mais ils induisent un déplacement de l’attention vers la source de la conscience, et une perception intuitive du vide, du rien *ici* (en pointant le doigt vers moi). C’est littéralement une attention à double sens, regardant en même temps vers l’extérieur et vers l’intérieur. Pour moi la question « qui ? » est une aide (qui est en train de voir ceci, à qui arrivent ces pensées).

Oui, je me souviens que ça m’a fait le même effet.

Il y a une différence très subtile : une sensation de tranquillité, de « pas de problème », dans la conscience, même quand il y a de la tension dans le corps et dans les émotions. Ceci dit, je trouve que les mouvements émotionnels forts ont tendance à interrompre le courant de la conscience.

Oui, c’est la partie la plus difficile du rappel de soi. Pour ne pas s’oublier soi-même, les émotions déplaisantes doivent être « apprivoisées » au moment même où elles émergent. Plus tu les laisses pénétrer dans ton système nerveux (c’est-à-dire plus tu leur donnes une réalité, plus tu crois qu’elles sont réelles), plus l’oubli devient profond et plus ça devient difficile de revenir au rappel de soi. C’est la même chose pour les émotions extatiques. Faire comme si les émotions n’étaient pas importantes est utile. Le rappel de soi est plus important que l’émotion.

Que manque-t-il aux expérimentations de Douglas Harding ?

Je peux seulement faire référence à l’atelier que j’ai fait avec lui. Il y a deux parties principales au travail à faire sur soi : rejeter le « faux » (travail sur les émotions négatives et sur la croyance de base), et affirmer le « réel ». Autant que je le sache, il manque la première partie dans l’enseignement de Harding. L’autre partie est très utile mais aussi incomplète, d’après l’expérience que j’en ai eue. Ce qui manquait, c’était le retour à la perception qu’on avait eue avant de faire l’exercice. Ce que je veux dire, c’est que le vide seul n’est pas complet. Quand tu fais ses exercices, à la fin, reviens à la perception « normale » tout en restant en même temps dans le vide.

Si sa méthodologie est insuffisante – et insuffisante aussi pour la pratique du rappel de soi – peux-tu me conseiller sur la façon d’entrer dans le rappel de soi ? Y a-t-il une méthode que je puisse appliquer ? En quoi cela diffère-t-il de la « vision à double sens » ?

La « vision à double sens » est bien. Si tu arrives à rester avec dans toutes sortes de situations, alors il n’y a pas de différence avec le rappel de soi. Le rappel de soi anticipe la non-séparation dans toutes les situations que tu peux rencontrer.

Comment fais-tu pour le maintenir tout au long de la journée ? Supposons que tu sois dans la « vision à double sens ». En quoi est-ce différent quand tu es seul ou quand tu parles à quelqu’un ? Que fais-tu quand surgit une situation qui t’énerve ? Comment gères-tu par exemple le sentiment d’injustice quand il émerge ?

Pour répondre à ces questions, reviens à des situations concrètes et concentre-toi sur ce qui s’est passé précisément en toi. Le rappel de soi inclut toutes les situations que tu pourrais rencontrer dans la vie.