Parlons du courage, c’est un aspect important. On a déjà évoqué la lâcheté, comme aspect identitaire. En quoi faut-il avoir du courage quand on suit un tel enseignement ?
Faire confiance à la vie, ou à un instructeur, cela nécessite du courage. Beaucoup même !
Ça nécessite du courage pour ne pas résister, pour accepter la souffrance nécessaire, quelle qu’elle soit.
Il faut être prêt à perdre.
Prendre le risque de se tromper, mais y aller quand même.
Avoir le courage de plonger dans l’inconnu, à chaque instant.
Oui, mais sans que ce soit casse-cou. J’aimerais bien qu’on approfondisse ce sujet, parce qu’il faut qu’on soit très clair. Quel genre de courage ? À quel moment faut-il saisir l’opportunité qui nécessite du courage, sans se perdre ? Il y a des gens qui ont du courage, mais qui se perdent, ils se perdent dans le mauvais sens.
En général, on sait au fond de soi ce qu’il faut faire.
Ça veut dire que le courage doit être accompagné, intuitivement, d’un « je sais que c’est ce que je dois faire » ?
Oui. Sinon ce n’est pas du courage, quand on ne sait pas. C’est plutôt de l’inconscience.
Et aussi être prêt à assumer les conséquences de son acte de courage.
Pour moi, le courage, c’est d’y aller sans rien savoir.
Le courage s’appuie effectivement sur la sincérité avec soi-même, dans cet endroit où on se dit « oui, c’est ça ». Là, dans cet inconnu, on peut s’appuyer sur la conscience corporelle.
Je crois aussi qu’on peut dire, que plus on s’accorde du courage, plus c’est facile la fois suivante.
Oui, il y a comme une force d’entraînement.
Oser malgré la peur, avec confiance.
Peur ou réflexion insensée, par exemple quand on calcule trop. Plus on calcule, plus on tue le courage. Quand je parle d’anticiper ce qui peut arriver, il faut distinguer deux manières d’anticiper. Il y a une anticipation nécessaire pour bien préparer la mise en action, et une anticipation dictée par la peur, par le désir de contrôle: c’est celle-là qui tue le courage.
Comme le saut à l’élastique, plus on attend pour sauter, plus c’est difficile.
Oui, c’est un peu ça, il faut y aller.
Le courage, c’est aussi quelque chose que je vois chez beaucoup d’enfants. Ça signifie que c’est naturel d’avoir du courage. Après, souvent, ça se perd. Les enfants, qu’est-ce qu’ils ont comme courage pour faire des choses qu’ils n’ont jamais faites avant ! Ils se lancent, ils essaient, ils en veulent, ils tombent, mais ils ont le courage de le faire. Avec l’âge bien sûr, ça diminue.
Est-ce qu’on peut dire que le courage fait partie de chaque valeur de base ? Que c’est naturel, inné ?
Oui, oser !
Cette faculté est là. Elle est peut-être un peu diminuée, mais elle est là. On constate aussi qu’il y a plus d’avantages à se lancer, que de désavantages. Plus on le constate, plus on va se lancer le moment venu. Je rejoins ce qui a été dit tout à l’heure : quand je sens que je dois faire quelque chose, j’y vais, je le fais. Ça fait partie de ma nature.
Les mécanismes identitaires sont là justement pour ne pas prendre la responsabilité de faire face à une situation inconnue, où on va éventuellement vivre quelque chose de désagréable.
On a interviewé des gens qui étaient sur le point de mourir. Certains regrettaient beaucoup de choses, et d’autres ne regrettaient rien. Ceux-là disaient : « j’ai toujours eu le courage de faire ce que je sentais devoir faire, même si c’était contre les conventions. » Ils n’avaient pas de regrets, ils pouvaient mourir en paix. Les autres étaient plein de remords : « oh ! J’aurais dû faire ça ».
C’est très bien que vous fassiez le point en vous-même sur les moments où vous avez eu la chance de vous accorder le courage nécessaire à la situation. Cette force, c’est comme un carburant.
Moi ce qui m’aide, c’est de me dire que je vais peut-être mourir dans une semaine, dans un mois ou un an, et au fond de moi, j’ai absolument envie de prendre ce chemin. Est-ce que je vais mourir sans avoir dépassé la porte, en restant sur le seuil ?
Il faut être capable de tout quitter, les lieux, les gens, tout.
Les exemples qu’on vient de donner, c’est le courage extrême, face au grand défi. En même temps, il y a aussi le courage quotidien. Quand par exemple, on arrive à un Si-Do, le courage de se forcer à le faire. D’ailleurs, il y a une expression : « Allez, courage ! C’est presque fini ».
Ça m’est arrivé tout à l’heure sur le chantier. J’avais vidé la dernière brouette, et j’étais complètement vanné. Il fallait juste encore s’occuper de la bâche, et je pensais : « non, non, plus tard, je suis vanné ». À ce moment-là j’ai vraiment compris que c’était un Si-Do à ne pas laisser passer. Je me suis agenouillé, et j’ai pris soin d’étendre la bâche pour la faire sécher au soleil. Ensuite j’ai vraiment eu l’impression d’avoir fini mon histoire.
Oui, c’est souvent très joyeux quand c’est fini.
J’ai senti une grande détente… c’était vraiment fini.
C’est super d’avoir évoqué ça. Effectivement, il faut vraiment rassembler son courage pour finir le Si-Do.
Avec le Mi-Fa, c’est très différent.
Avec le Mi-Fa, il y a quelque chose qui coince, qui manque.
Et quand ça coince, je pense que c’est uniquement de l’évitement de la souffrance nécessaire, lié à des mécanismes de considération interne, parce que ça fait intervenir un facteur extérieur. Et tout ce qui joue, c’est une question de prétention, de vanité.
Pour moi, c’est plutôt que ça m’agace. Je dois appeler quelqu’un, ou chercher une info sur l’ordinateur, une pièce manque et il faut attendre qu’elle soit livrée. Il y a un contretemps dans le déroulement.
Je vois plutôt ça comme de l’impatience.
Oui, ça joue aussi, l’impatience. Jusqu’au moment où j’accepte que ce soit comme ça.
Mais en fait, ça fait jouer d’autres formes de courage, comme d’aller contre l’orgueil, la vanité : demander de l’aide lorsqu’on n’arrive pas à faire tout seul, par exemple. Ça peut aussi être la peur de déranger l’autre. Ça fait appel à d’autres formes de courage pour aller chercher ce qui manque.
Oui.
Il y a plein de petits courages, de petites décisions. Chaque fois qu’on va contre un mécanisme identitaire, il faut du courage.
Il y a quand même une différence entre un « grand » courage, comme de devoir lâcher un attachement, sacrifier quelque chose qu’on croit profond et important, sur lequel est bâti une partie de notre identité, et le « petit » courage dont on vient de parler (grand/petit, ce n’est pas un jugement de valeur).
Dans le courage du Si-Do, il n’y a pas le vide. Il y a des courages où il y a le vide.
On a l’impression de tout perdre.
Ce n’est pas qu’une impression, de fait il y a perte.
Tout à fait.
Donc il y a le petit courage et le grand courage.
Et chaque petit courage donne de la force pour le grand.
Oui.
Et mon impression, c’est que la vie apporte des opportunités proportionnées à ce qu’on peut recevoir.
Absolument.
De toute façon, la vie nous offre des opportunités. Quand une opportunité se présente, c’est que c’est le moment. Avec l’opportunité, on a le choix de décider. Soit on est sincère, et on sait qu’il faut y aller et agir, soit on le sent mais on fuit.
C’est ça.
Et il n’y en a pas si souvent, si on ne la saisit pas, il faudra en attendre une autre.
Et on ne sait pas quand ! Il n’y en aura peut-être plus jamais. C’est aussi un aspect important. On a tout intérêt à saisir les opportunités qui se présentent.
L’opportunité, c’est un cadeau !