Note au lecteur : le bleu italique correspond à l'instructeur ; en noir, les autres intervenants.

Contraintes

Nous rencontrons durant notre vie toutes sortes de contraintes et obstacles, des plus petits jusqu’au plus grands. Comment les traiter, comment est-ce qu’ils peuvent nous servir dans le cadre de notre travail ?

Ce sont des choses à vivre, les épreuves sont à prendre en compte sans jugement, elles nous permettent d’évoluer. En accueillant ce que je peux percevoir comme des limitations ou des handicaps physiques, je me donne l’énergie et l’ouverture nécessaire pour faire preuve de créativité, d’imagination, pour développer le potentiel qui m’habite, que ce soit dans mes mouvements, dans ma façon d’agir, de faire, dans mes prises de décision. Les obstacles me permettent de me dépasser, de faire des choses que je n’aurais peut-être pas expérimenté.

Les contraintes sont souvent source de souffrance nécessaire, et la base de notre travail est de les accueillir, se relaxer et ne pas se laisser aller à exprimer des sentiments ou sensations négatives s’il y en a. Le but est la transformation et transmutation de ces énergies sans s’autoriser à donner libre cours à de la souffrance inutile, ni à laisser notre centre émotionnel se polluer. Les contraintes nous obligent à la fluidité, l’accueil, le oui à ce qui est.

Les contraintes, les obstacles sont le moyen qu’a trouvé la vie pour nous faire évoluer. Je dirais que ce sont des alliés qui nous invitent à nous adapter voire à nous transformer, à être vivant tout simplement. Soit nous les prenons pour ce qu’elles sont : des invitations à plus de vie, à nous couler dans son fleuve, soit nous résistons et la vie dans son génie trouvera un moyen autre (une nouvelle contrainte comme une maladie par exemple) pour nous montrer la direction à suivre.
Les contraintes sont utiles dans le cadre de notre travail pour apprendre à accueillir la souffrance nécessaire qu’elles impliquent le plus souvent, à sacrifier notre confort personnel pour nous dépasser.
Je vois les contraintes comme le tour et les mains du potier qui apposent une force afin de donner une forme à l’argile que nous sommes.
J’aime beaucoup ce que dit Jean-Yves Leloup dans son ouvrage Désert, déserts : « On ne fait pas de l’eau avec du sable, mais y-a-t’il parmi les hommes un seul grain de sable qui ne reçut jamais la visite de l’eau ? Sinon comment serait-il glaise (adamah), vase ou poterie, où se recueillent les Sources ? »

Ce qui me vient c’est qu’il y a deux façons de traiter les contraintes :
Le refus, qui revient souvent frontalement dans la tronche et s’inscrit émotionnellement dans le corps comme un bug informatique.
L’acceptation, qui mobilise intelligence et créativité pour mener à une ouverture plus vaste à la vie. Dans notre travail, je dirais qu’ils peuvent nous aider à mettre en lumière ce qui relève du refus pour le remettre en perspective afin de basculer dans son acceptation.

Une contrainte est une occasion. Une occasion offerte par la vie de rester réveillé et de regarder en soi : ai-je répondu oui ?

Surtout ne pas nourrir ni renforcer la contrariété éventuellement rencontrée, mais en observer ses manifestations dans le corps, dans la souffrance nécessaire, rester attentionnée sans commentaire ni jugement. L’énergie gagnée par ce processus peut servir à voir plus large, plus pointu, plus intuitif, plus dans la conscience. Les solutions sont devant mes yeux, devant mes mains.

Pour moi les contraintes servent à user l’identité. Il y a frottement, friction, ça agit comme une pierre ponce, comme l’eau façonne la roche la plus dure. Dans le cas contraire, ça peut aussi renforcer l’identité, si le travail d’accueil de la souffrance nécessaire n’est pas fait. Les obstacles obligent aussi à l’ouverture et à l’écoute qui mènent à la vraie créativité.

Elles sont un appel à ne pas s’endormir. Elles nous tirent vers la terre. Elles sont aussi de bonnes occasions pour accueillir la souffrance nécessaire qui surgit avec elles.

La première réponse qui m’est venue est « contrainte = souffrance nécessaire » et donc le travail sur les contraintes ou obstacles est celui de l’accueil de la souffrance nécessaire. Au-delà de cette réponse, j’ai trouvé intéressant de creuser un peu plus loin sur ce qu’est une contrainte. Voici quelques éléments de réflexion :
Pour toute contrainte liée à l’incarnation et aux limites du monde physique (je n’ai pas d’ailes pour voler…), la seule attitude saine est d’accueillir et de faire au besoin le travail sur la souffrance nécessaire. Souvent, on a déjà accueilli la contrainte depuis longtemps – il s’agit juste de reconnaître ce qui est. Dans d’autres cas, il faut que je regarde si la contrainte est une « vraie » contrainte, ou une contrainte que je me génère à partir de mes croyances ou attachements. Parfois, on accueillera la contrainte en faisant tomber sa croyance ou résistance, et d’autres fois, on ne suivra pas la contrainte car on aura réalisé que c’est notre identité qui l’avait construite.
Par exemple, je percevais le fait de devoir payer une dette comme une contrainte, parce qu’elle était associée à une image de moi-même d’être honnête. Dans ce cas-là, la bonne réponse était de faire tomber l’image de moi-même, me libérant de la contrainte de la dette (au moins psychologiquement), plutôt que d’accueillir la souffrance nécessaire d’avoir à payer la dette.

Je dirais que petites ou grandes, les difficultés rencontrées sont toujours un rappel à ne pas oublier son engagement au profond « oui » à la vie. C’est une opportunité offerte par la vie pour monter dans le wagon du train de tous les possibles vers les surprises de sa destination quelle qu’elle soit, plutôt que de rester sur le quai des incertitudes et des peurs qui alimentent le doute, dans la gare des rêves inachevés et vains.

Accueillir d’abord, accueillir en laissant toute la place à ce qu’elles provoquent en nous. Observer tout ça, qui peut être très différent selon les contraintes. C’est une occasion de prise de conscience irremplaçable, d’autant plus qu’on est souvent pris par surprise. Ensuite, occasion encore de dire « oui » à ce frottement, à notre incarnation. Et ce « oui », lui aussi, est différent selon les types d’obstacle. Travail infini…

Les petites contraintes et obstacles : le danger serait de les sous-estimer, penser qu’ils n’ont pas vraiment d’importance et décider de ne pas faire notre travail en attendant des occasions plus « nobles », plus importantes (rappel : tout est également important). En outre, les petites contrariétés, les petites frustrations permettent de nous exercer et de nous habituer à effectuer le travail d’accueil de la souffrance nécessaire. Elles préparent notre système nerveux à accueillir des tensions plus fortes, et nous entraînent à effectuer ce geste intérieur naturellement, spontanément.
Les grandes contraintes et obstacles : ils génèrent forcément de la souffrance nécessaire en s’opposant à nos prétentions, ambitions, espoirs, attentes, attachements, confort…
soit on est capable d’y répondre sans émotions surajoutées – ce qui ne veut pas dire « sans émotions » car celle-ci peuvent surgir naturellement du contexte,
soit il y a pollution émotionnelle et dans ce cas les contraintes et obstacles pointent directement en nous des graines non-cuites, des schémas identitaires pleinement actifs (bien que parfois cachés).
Ils servent alors de révélateurs, de projecteurs braqués sur les mécanismes de l’ombre. Il me paraît important de partager ensuite ces situations, de s’exposer dans le groupe, afin que les éventuels angles morts soient débusqués et portés à la conscience de celui ou celle qui en témoigne. En outre, durant ces échanges, une énergie supplémentaire, voire un choc, peut donner l’occasion, à celui qui acceptera de le vivre, de dépasser la limite qui le contraint, de sortir de l’impasse existentielle dans laquelle il est plongé.
Je vois la souffrance nécessaire comme une forme de feu alchimique qui brûle et « nettoie » la matière brute de ses scories, de ses voiles. À travers ces contraintes et obstacles, la vie remet en question notre volonté individuelle et sa prétention à maîtriser notre existence. Petit à petit, cette fausse volonté laisse la place à la vraie Volonté, celle de la Vie, celle qui s’exprime à travers nos élans profonds, nos talents parfois contrariés, nos aspirations souvent étouffées par la raison, la recherche du confort, la sécurité, le connu… celle qui s’exprime aussi par les contraintes et les obstacles, les tempêtes et les courants sous-marins qui nous poussent à changer de directions. Lorsque la fausse volonté abdique, lorsqu’elle rend les armes, alors il ne reste plus que la vie car « c’est la vie qui décide ».

Les contraintes créent des inconvénients ou limitent les options. L’identité subit généralement une contrainte comme une atteinte à son autonomie. L’acceptation des contraintes inévitables est nécessaire. Mais il faut aussi clairement distinguer une contrainte réelle d’une contrainte imaginaire. Et si une contrainte est réelle, ne pas projeter toutes sortes de conséquences permanentes et négatives.

La distinction entre fausse contrainte et contrainte réelle est en effet un prérequis. Les fausses contraintes sont issues de l’évitement de la souffrance nécessaire :
– me contraindre à accepter des conditions de travail qui ne me conviennent pas sous prétexte qu’il n’est pas possible de faire autrement, alors que ma boussole me dit qu’il est possible de faire autrement
– me contraindre à faire une gestion administrative qu’une autre personne pourrait faire, et que je prends en charge sous prétexte que ça évite (peut-être) les (peut-être) problèmes = maintenir un faux état de confort personnel
– me contraindre à rester en (pseudo) communication avec une personne qui part dans la souffrance inutile
– me contraindre à ne pas respecter mon rythme personnel pour m’adapter à celui des autres alors que ce n’est pas une nécessité.
Dénoncer le faux revient aussi à dénoncer les fausses contraintes.
Le « oui » profond comme réponse essentielle à toutes les vraies contraintes est le seul moyen de laisser s’exprimer une action venue du néant.
Sinon il s’agit d’une réaction. Une réaction maintient l’illusion de cause-effet-temps.
Une action est hors temps et hors cause.

Il me semble que les contraintes et obstacles font partie intégralement de la vie sur cette terre.
Soit on les vit comme un enfer, en s’y résignant bon an mal an, avec leur lot de souffrances inutiles, et alors on râle, on peste souvent. Et l’impression que la vie est difficile s’ancre et prend racine un peu plus à chaque fois.
Soit, avec le travail que nous faisons, en les accueillant nous en faisons une expérience qui ne laisse pas de trace. Elle se vit, c’est tout, et on l’oublie. Et avec l’acceptation de la souffrance utile, elle laisse la place à une transformation.