Note au lecteur : le bleu italique correspond à l'instructeur ; en noir, les autres intervenants.

Conscience corporelle – 1

La conscience corporelle, c’est vraiment le B. A. BA du travail. Sans cela, on ne peut pas faire le reste du travail.
Comment savez-vous quand vous êtes dans la conscience corporelle ?

Je sais surtout quand je n’y suis pas.

Et comment sais-tu que tu n’y es pas ?

Quand je suis dans la considération interne.

Oui, la conscience corporelle et la considération interne s’excluent.

Pour moi, ce n’est pas très clair. Je crois que quand je suis dedans, c’est moins réactif, plus centré. Il y a aussi une sensation d’ouverture, et c’est plus créatif.

C’est aussi très lié à l’attention partagée. La conscience corporelle facilite l’attention partagée et l’attention partagée aide à rester dans la conscience corporelle.

Je n’y suis pas, typiquement, quand je ressens de la fébrilité, quand je suis concentré sur un but, avec une attente, un attachement à l’objectif.

La concentration et la conscience corporelle s’excluent, surtout s’il y a de l’attachement émotionnel. S’interdire de tomber dans les mécanismes d’attachement émotionnel. Comme un frein qu’on active pour ne pas passer au feu rouge ! Ensuite, ça devient automatique et le petit diable meurt de faim à force ne pas trouver sa pitance et va la chercher ailleurs :).

Quand j’y suis, il y a aussi un sentiment d’ouverture à 360°. C’est plus fluide, moins de filtres. Je parlerais de sérénité silencieuse.
Quand je n’y suis pas, il y a de la mentalisation.

Et comment fais-tu pour ne pas la perdre ?

J’utilise le P. A. C. I. L. ; je mets mon attention sur tout ce qui est présent : les personnes, les activités, les choses, les informations et le lieu.

Est-ce que vous faites l’exercice de s’endormir et de se réveiller avec la conscience corporelle ?
Il est essentiel de s’endormir et de se réveiller avec. Se programmer pour le faire et ensuite ça va devenir automatique.

Quand je me lève d’un coup, j’y suis tout de suite mais parfois je traîne un peu.

Ça ne compte pas. C’est possible même dans la rêverie, dès qu’il y a une petite conscience présente. Il ne faut rien exclure de la conscience corporelle, sauf dans le sommeil profond.
Si le matin, vous avez un automatisme de vous focaliser sur un objectif, quand le réveil sonne vous vous dites « Tiens, mais, qu’est-ce que j’ai à faire ? », il faut remplacer cet automatisme par quelque chose qui vous ramène à la conscience corporelle.

Je fais l’exercice, c’est très bien pour s’endormir.
La première chose qui me permet de dire que j’y suis, ce sont les contacts, les appuis.
Et je crois que je la perds quand je focalise fortement sur quelque chose.

Je ne sais pas vraiment si je suis dans la conscience corporelle.

C’est peut-être parce que tu te compares trop aux autres, à ce qu’ils ont dit à ce sujet, et que tu te fais une représentation de ce que c’est, au lieu de regarder en toi.
La conscience corporelle n’est pas associée à un état émotionnel. Elle est neutre, indépendante des états internes. Elle est insaisissable, intangible, indicible, il est impossible de la décrire et il est facile de s’en faire une fausse idée ou un concept erroné.
Le « ressenti » est très différent d’une personne à l’autre. Chacun doit découvrir sa façon de le vivre.

Quand j’y suis, c’est plus calme.
Et quand je n’y suis pas, il y a une tension physique.

J’ai une perception physique de mes pieds sur la terre, et en même temps, ça me traverse. En même temps, c’est au-delà du corps.

Au début, je croyais que c’était la conscience du corps. Mais ensuite, j’ai compris que la conscience corporelle ne se réduit pas à la conscience du corps. C’est plus englobant que ça. Un jour j’ai entendu une phrase qui m’a beaucoup touchée : « Ce n’est pas la conscience qui est en nous, c’est nous qui sommes dans la conscience. » Ceci donne une autre dimension à la conscience corporelle, plus neutre et plus stable.

Ce qui fait que je la perds, ou que je n’arrive pas à la retrouver, c’est peut-être la difficulté de lâcher quelque chose ? Est-ce que la conscience corporelle est progressive ou est-ce un phénomène digital ?

La conscience corporelle est un phénomène digital (On/Off). Soit on est dedans, soit on n’y est pas. Elle est activée ou pas activée. C’est comme l’oubli et le rappel. Il n’y a pas de passage progressif de l’un à l’autre. Et ce mécanisme est insaisissable. Et d’ailleurs, comme pour l’oubli/rappel, c’est quand tu lâches que ça revient…
Quand je suis dans la conscience corporelle, je suis la Conscience. Alors que quand je suis observateur, je prends conscience, mais je reste séparé.
En fait, la conscience corporelle est là en permanence, mais l’oubli peut se produire. L’oubli est la cause et l’effet !
Ce n’est pas parce que quelque chose masque la conscience corporelle qu’on l’oublie, mais parce qu’on l’oublie que quelque chose peut venir occuper le terrain.
Voici une métaphore : imagine que tu as garé ta voiture sur le parking d’un supermarché. Pendant que tu fais tes courses, tu n’y penses pas et pourtant, tu ne l’as pas oubliée. Et c’est quand tu sors que tu te poses la question où est ma voiture ? Si tu as oublié où tu as garé ta voiture, c’est seulement à ce moment-là que tu t’en rends compte. Pourtant, elle est toujours là !
La conscience corporelle est l’essence même. Tu es conscience. Le rappel de soi naît de la conscience corporelle.
La contradiction apparente entre le fait d’être conscience corporelle et le fait de faire un effort pour rester dans la conscience corporelle vient d’une vision duelle inadaptée. En réalité, en étant conscience, tu nourris la conscience corporelle.
Être dans la conscience corporelle, ce n’est pas un effort ; Si on doit appeler cela effort, c’est un non-effort (un effort sans effort). Voici une image : imagine une roue avec les lettres E F F O R T sur le tour de la roue. Il faut faire tourner la roue. Cela devient une force, un moteur qui tourne. C’est donc la roue qui fait l’effort de tourner, toi tu te laisses porter !

Outre ce qui a déjà été dit, je remarque que quand je suis dans la conscience corporelle, je capte les tensions des autres, plus facilement.
Je crois qu’à une époque, j’ai beaucoup observé et appris à discriminer le contenu du mental. Cela me permet de ne plus m’identifier et de me perdre dans les concepts mentaux. Maintenant, je les écoute comme la radio…
Lorsque j’ai perdu la conscience corporelle, au bout d’un moment, il y a un choc et je réalise que je l’ai perdue et la vigilance se remet en place petit à petit.

Il y quelque chose d’impersonnel. C’est comme de parler à la troisième personne.

Lorsque je n’y suis pas, je suis dans la séparation. J’entends que ma réponse au contexte passe par la tête et une réactivité qui n’a pas de sens.
Quand j’y suis, je ne le sais pas. Je peux l’analyser uniquement après coup pour répondre à la question… En fait, quand j’y suis, je suis simplement. Si je focalise sur certaines sensations corporelles, j’ai conscience de certaines sensations que sinon, je ne ressens pas, et sur lesquelles il ne me viendrait même pas à l’esprit de me focaliser.
Quand j’y suis, je ne le sais pas, je le vis.
Ce qui me fait perdre ça ? C’est une contraction due à un évitement de la souffrance nécessaire, à un moment donné. A cet instant, je ne suis plus dans la présence, qui est pour moi un autre mot pour la conscience corporelle. Je ne sais pas si la contraction vient après ou avant la fuite. Sur le moment où ça se passe, je le vois arriver, puis il y a un vide, puis je sais que je me suis fait piéger. Je peux rebasculer dans la présence, mais c’est possible seulement si je suis tout seul.

Il y a peut-être aussi une croyance que ce n’est pas possible d’y être en permanence.

Il est important de savoir que c’est possible d’y être en permanence, et le fait de s’autoriser à la perdre, même de temps en temps, est nuisible. Ça fait une grande différence, un saut quantique, quand on est en permanence dans la conscience corporelle.
Ensuite, il y a un non-retour (ou c’est très peu probable). Il faut se préparer à lâcher, à sauter dans le vide. Le savoir aide à ce que ça lâche.

C’est naturel pour moi, depuis toujours, d’être dans le corps. Et je sais pour moi qu’il n’y a pas de retour en arrière possible. Il me faut être vigilante à l’envers. Je dois me rappeler pourquoi je suis là. Ma vigilance, c’est d’être toujours ouverte pour les autres.

Ralentir le rythme aide.

Non, fausse piste.

Quand je vais plus vite, j’ai l’impression que mon attention partagée est réduite.

C’est normal. L’essentiel est que tu restes dans l’attention partagée à 360°. C’est comme si un film est en accéléré, tu captes seulement une image sur 3 !

Un élément qui fait vaciller la conscience corporelle, c’est un événement extérieur, une critique qui me confronte à la souffrance nécessaire, à la croyance de base. Alors, il y a une petite tension, puis j’accueille et ça se détend, et je retrouve la conscience corporelle.
J’ai trouvé un autre élément qui fait perdre la conscience corporelle, c’est la pensée qui se déclenche dans certains contextes : se brosser les dents, conduire la voiture. C’est comme si, il y avait une habitude pour utiliser ces moments pour réfléchir à toutes sortes de sujets, fonctionnels ou non, mais alors, je suis scotché à mes pensées et je perds la conscience corporelle.

Ceci n’arrivera pas si tu laisses tes pensées dans la conscience corporelle. Ces pensées ont quelque chose à te dire. Quand tu auras permanentisé la conscience corporelle, il n’y aura même plus la petite tension.

La conscience corporelle va et vient, mais je la perds beaucoup, dès que je fais quelque chose, je le commente.

As-tu déjà pris une décision existentielle ? Il faudrait l’appliquer pour mettre la conscience corporelle en priorité et ne pas la perdre par exemple pendant une heure. Une telle décision implique une interdiction d’échouer. Et aussi dans cette décision, il n’y a aucune tension.
On peut aussi appeler ça un engagement avec soi-même.
Voir aussi ce qu’on rate quand on ne le fait pas… ne pas être dans la conscience corporelle en permanence, c’est un handicap, c’est une défaillance. Et en même temps, ce n’est pas sans espoir. Il faut prendre la responsabilité de se donner les moyens, de les appliquer pour s’établir dans la conscience corporelle.
Est-ce qu’il y a un attachement ou une peur qui t’empêche d’y aller ?

La considération interne ! Image de ce que les autres attendent de moi…… et à laquelle je faisais face……

…Et dont tu étais fier.

Quelque part, j’ai peur de ne pas être fiable, de ne pas pouvoir tenir mon engagement, mes responsabilités.

La fiabilité, c’est répondre à son engagement dans la mesure de ce qui est possible. Ensuite, c’est la vie et tu ne peux pas tout contrôler.

Je perds la conscience corporelle quand je me laisse distraire par mes pensées.

Le problème n’est pas d’avoir des pensées, mais de se faire distraire par les pensées.

J’ai constaté qu’en étant plus dans la conscience corporelle, la production de pensées se réduit naturellement. Et alors, les pensées qui viennent sont des pensées utiles.

Ces pensées surgissent alors du vide.

Ce qui est intéressant, c’est que ces pensées ne me font pas perdre la conscience corporelle. Ça peut m’arriver quand je travaille. La différence entre une pensée distrayante qui vient du mental et une pensée utile qui vient de la conscience corporelle, est très claire et très facile à distinguer.

Il y a aussi des distractions en rapport aux peurs ou à une anticipation. Là aussi, il est impératif de ne pas se faire distraire. Sinon, il y a attachement et on se laisse envahir par quelque chose dont on ne veut pas.
Quand on apprend à apprivoiser son attention, on arrive à rester tranquille, dans le présent et dans la détente existentielle, et tout ce qui peut nous distraire, on le dénonce tout de suite. Plus on le pratique et plus c’est automatique.
Il y a des événements où c’est difficile de rester dans la conscience corporelle et où il faut basculer dans l’accueil de la souffrance nécessaire. C’est la seule façon de rester propre, dans la conscience corporelle, et d’éviter l’attachement. Dans le ressenti de la pollution identitaire, il n’y a pas beaucoup de différence, mais au moins, on sait que le fond de soi, le « je suis » n’est pas atteint.
Parfois aussi, on parle de se débarrasser du superflu, mais parfois, il faut parler de sacrifice. C’est encore plus fort. Ce n’est pas un travail, c’est une décision à prendre, et à prendre immédiatement. Plus tu attends, et plus c’est difficile.
Le sacrifice peut apparaître dans divers contextes. C’est une participation active. En fait, il s’agit de se débarrasser d’une illusion, mais l’attachement à cette illusion est bien réel. C’est un geste de guerrier comme décrit dans le texte de la Bhagavad Gita. Ces attachements nous paraissent naturels. Ils peuvent être « transmis » par nos proches…
Donc sacrifiez les attachements inutiles et qui vous empêchent d’aller vers ce que vous voulez vraiment en vous.

Un autre élément qui casse la conscience corporelle : c’est le jugement, la comparaison, l’attente que les choses soient autrement que ce qu’elles sont. Car la conscience corporelle ne sépare pas, tandis que le jugement sépare.

Le silence aide beaucoup à être dans la conscience corporelle. C’est pourquoi il vaut mieux éviter les bavardages.
Il faut réaliser que quand vous n’êtes pas dans la conscience corporelle, vous êtes séparés des autres. Et quand vous travaillez ensemble sur un projet fonctionnel, c’est comme si vous faussiez le jeu et la relation.
Comment c’est la vie dans la conscience corporelle ?

C’est. Mais on a parlé du fait que c’est digital. C’est ou ce n’est pas. J’ai l’impression que c’est plus ou moins englobant.

Peut-être qu’il y a du plus ou moins quand tu y es, mais il n’y a pas de transition pour passer de la conscience corporelle à la non conscience corporelle.
Peut-être que tu fais plus allusion à l’attention partagée.

Je sais que je suis dans la conscience corporelle quand j’ai un ressenti de me sentir transparent.
Attention, ça peut être un piège de le coder en mots, de figer une représentation.

Oui, il n’y a pas de « vrai » ressenti avec la conscience corporelle. C’est pré-sensoriel.

C’est comme si on avait quelque chose derrière soi, et qu’on était prêt à tomber.

Et quid de la faculté d’anticipation issue de la perception pré-sensorielle ? Et aussi, de la faculté de considérer un maximum d’informations non filtrées dans le moment ?

Oui, sans filtres, on peut prendre en compte un maximum d’informations du contexte.
Absence de croyances, absence d’a priori.

Ça vient d’une certitude intérieure qui n’est pas partageable, mais qui est juste.

Ça a l’air anodin de dire que je suis dans la conscience corporelle et je peux laisser surgir une solution simple et juste. Mais c’est incroyable ce que ça demande de dépouillement pour y arriver.

La certitude que tu as quand tu es dans la conscience corporelle n’a pas besoin d’être justifiée ou défendue. Mais c’est possible uniquement quand tu as un certain savoir. Si tu n’es pas dans la conscience corporelle, tu imposes ton savoir comme un savoir et tu vas affronter l’autre avec ce savoir. Alors que quand tu es dans la conscience corporelle, ça devient quelque chose que tu offres. Et sinon, tu as l’impression que tu te trahis.
Mais parfois, tu es obligé de lâcher, d’aller avec ça car c’est impossible autrement. Aussi, si je dis quelque chose d’erroné, et que l’autre est dans la conscience corporelle, alors, j’intègre sa réponse facilement et je peux modifier mon opinion et changer mon point de vue, car ce que dit l’autre est aussi valide. Mais si l’autre n’y est pas, ça bloque.
On sait chacun d’où ça vient en moi et en toi et c’est ok.
Quand je le donne, que je l’offre à l’autre, ça ne m’appartient plus. Et parfois, je le sens mais je ne le dis pas, parce que je sens que l’autre n’est pas encore prêt.

Pour que ça marche, il faut que ça vienne d’une certitude en soi. Si le moindre doute s’infiltre, ça ne va plus.

Et pour ça, le « je suis » donne cette confiance en soi. Ce n’est pas « j’ai la confiance en moi » mais « je suis la confiance en moi. »

C’est pour ça qu’il faut être en permanence dans la conscience corporelle.

Absolument, et même si on est à 99% du temps, passer à 100% est vraiment un saut quantique. Après il y a une évolution authentique, réelle, qui se déclenche à ce moment seulement. C’est une nouvelle naissance, une renaissance, et la fin de quelque chose aussi, la mort.
Ça vous parle quand je dis « Je suis la confiance en moi » plutôt que « j’ai confiance en moi » ?

Le « je suis » ne me parle pas beaucoup, mais j’ai quand même conscience de quelque chose au fond. Je commence à percevoir un peu mieux ce que tu dis.

Et si tu le disais ça te fait une différence de dire « Je suis la confiance en moi » plutôt que « j’ai confiance en moi » ?

Je ne le dirais pas.

Oui, mais si tu le dis, ça te fait quoi ?

Je dirais que ça fait comme une force, quelque chose de très centré. Si je ne mets pas de commentaire, c’est juste étonnant pour moi. Comme un guerrier !
En disant « je suis », c’est comme si moi, conscience, je voulais me voir, et alors, il n’y a rien.
Le « je ne sais pas » est très utile aussi pour rester dans la conscience corporelle. C’est très lié à l’humilité.

Oui, il faut garder les choses ouvertes.

Ça me rappelle les 3 phrases de Ivan Amar : 1. Je ne sais pas 2. Tout est le réel, 3. Tout change.