Note au lecteur : le bleu italique correspond à l'instructeur ; en noir, les autres intervenants.

Sans coulisses

MURIR

Question :
Que peut faire quelqu’un s’il veut avancer sincèrement dans cette quête, même si son ‘je’ n’est pas encore mûr ?

Réponse :
Nous sommes tous dans le même bateau.

Question :
… as-tu, par hasard, encore une autre réponse ?

Réponse :
Tu peux commencer à représenter mentalement (et surtout pas dans la vie de tous les jours !) la possibilité d’agir sans objectif, sortir du conditionnement de tout faire avec un but ; imagine-toi une dimension au fond de toi qui fait ce qui doit être fait comme une obligation avant de viser un objectif.

Question :
Quand je le fais, je sens une peur émerger en moi, la peur de ne plus savoir qui je suis.

Réponse :
Enlève la peur en te convainquant que le déroulement de ta vie sociale ne subit aucune modification.

Question :
J’ai l’impression que mon existence individuelle cesse d’être.

Réponse :
Le « je-pour-mon-intérêt-personnel » se transforme en « je–suis–la–valeur–ultime–qui–s’exprime » comme le dirait Steve Jourdain. Un « je » mûr sait que la quête de l’ultime ne rend pas la vie plus facile, ni plus difficile ; une nouvelle façon d’être apparaît, en anticipation d’une « réalité » subjective modifiée : les événements rencontrés dans sa vie se déroulent indépendamment de la façon dont il les traite dans son système nerveux.

PERCEPTION PRE-SENSORIELLE

Question :
Quelle est la relation entre la pensée et la perception pré-sensorielle ?

Réponse :
Qui dit pensée dit modèle et langage. Tout ce qui est dit ou écrit sont des modèles descriptifs ou interprétatifs, on n’y trouve pas la moindre trace de l’événement : le mot savon n’est pas le savon (le savon : l’événement du percevoir). Quand nous pensons, nous sommes dans une méta-position par rapport à l’événement ou par rapport à l’idée que nous en avons. Dans ce sens, on peut dire que la pensée crée le temps : il y a un décalage temporel entre la pensée et ce à quoi cette pensée se réfère. La pensée est aussi créatrice de mémoire : je ne peux retrouver aucun souvenir d’une période que j’ai passée sans penser. La perception pré-sensorielle se réfère avant tout hors temps, c’est-à-dire hors pensée, hors modèle. En règle générale j’ai l’impression que je pense mes idées, je modélise ma créativité. Quand je pense « pré-sensoriellement » j’ai plutôt l’impression que « ça » pense mes idées, « ça » modélise ma créativité. Penser est une facette particulière de l’expression de la perception pré-sensorielle.

Question :
Ça sonne spectaculaire.

Réponse :
Et ça ne l’est pas du tout. C’est même le contraire. Pour celui qui le vit c’est presque une banalité. Une simplification extraordinaire du déroulement de la vie. On ne peut pas s’imaginer ce que c’est d’être libéré des attentes qu’on a de la vie. C’est comme si on était malade, affaibli et intoxiqué pendant des années et on retrouve ses forces.

Question :
Qu’en est-il des généralisations ? Est-ce qu’il y a encore des généralisations dans la perception pré-sensorielle ?

Réponse :
Non. Les généralisations trouvent toute leur utilité dans la vie fonctionnelle. Dans la perception pré-sensorielle il n’y a ni généralisation, ni sélection, ni distorsion. Ce sont des fonctions que mon mental met en action selon les exigences du contexte.

Question :
Pour retrouver la perception pré-sensorielle en moi, est-ce qu’une attitude active de mon côté est indispensable ?

Réponse :
Tout dépend de ce que tu signifies par attitude active. Les différentes étapes nécessitent effectivement chaque fois une attitude active. Il est impossible d’ailleurs de ne pas être actif, parce que notre système nerveux est en activité 24 heures sur 24. Nous savons que les explorateurs et certains grands sportifs préparent leurs performances dans les moindres détails, parfois pendant des années. La quête de l’essentiel demande bien plus d’efforts, plus de vigilance, plus de travail dirigé que ces exploits, parce que notre être entier s’y implique. Ce que nous pouvons faire doit être fait, activement ; en s’accordant suffisamment de repos quand on en ressent la nécessité.

Question :
Ce n’est pas l’être entier qui est impliqué dans les exploits ?

Réponse :
Les énergies investies ainsi que les préparations méticuleuses de ces performances sont comparables à celles que nous devons engager dans la quête de l’essentiel, mais l’objectif et certaines conditions nécessaires pour y parvenir ne sont pas les mêmes. La recherche de sensations fortes par le biais des exploits intellectuels, émotionnels, sexuels ou physiques ou par le biais d’exercices spirituels, fait partie des efforts produits par l’identité en quête de bonheur. Il y a parfois, pendant et souvent après ces prouesses, une montée passagère d’hormones de bonheur, que l’on appelle de nos jours les endorphines et la sérotonine. Ce qui est visé, c’est avant tout une modification extrême des états internes qui va de pair avec une auto-confirmation et/ou une hétéro-confirmation. S’impliquer avec l’être entier dans la quête ultime nous prépare à être en mesure de renoncer (au niveau existentiel) un jour à tout résultat, à toute confirmation.

Question :
Y a-t-il une raison pour se lancer dans la quête de l’absolu ?

Réponse :
A mon avis, il n’y en a pas.

Question :
Y a-t-il une raison pour ne pas se lancer dans la quête de l’absolu ?

Réponse :
A mon avis, il y a autant de raisons qu’il y a d’hommes et de femmes sur la planète terre.

Question :
Qu’est-ce qui fait que quelqu’un se lance dans cette quête ?

Réponse :
C’est une question qui concerne la vie intime. Elle ne se pose qu’à soi-même. Une réponse venant du cœur est la seule admissible.

Question :
Quelle est la relation entre la perception pré-sensorielle et le sacré ?

Réponse :
Il y a des moments dans la vie où les pensées s’arrêtent parce que nous sommes profondément touchés par la présence de quelqu’un ou par un événement hors du commun. Quand je tombe amoureux, je crois que c’est l’autre qui en est la cause. En réalité, c’est moi qui en suis la cause et l’effet simultanément. Du point de vue de la perception pré-sensorielle, tout ce que je perçois à chaque instant est sacré. Le sacré s’incarne en mon moi profane par le biais de la valeur de base tout en préservant toutes ses qualités.

CROYANCES

Question :
Quelle est l’explication des catastrophes personnelles et collectives ?

Réponse :
L’identité craint la souffrance parce qu’elle sait, sans vouloir l’admettre, que chaque peine risque de faire émerger l’inadmissible (pour elle) : je suis seul, je suis séparé de l’existence. Plus il y a souffrance, plus il y a prise de conscience de la solitude. Une catastrophe risque de mettre à jour que nous sommes seuls et sans recours, le dilemme devient évidence. Ne plus craindre la souffrance n’est possible que quand nous sommes libérés de notre identité séparatrice. Là, nous comprenons que dans la souffrance nous sommes autant liés avec la vie que dans la joie.

Il y a deux sortes de calamités qui peuvent changer le cours de la vie d’un être humain. Dans le premier cas (A) nous subissons les conséquences de notre propre intérêt personnel/de notre propre négligence ou nous subissons les conséquences de l’intérêt personnel/de la négligence d’une personne sinon d’un groupe d’individus (les guerres, certaines famines, la destruction de l’équilibre biologique avec toutes ses conséquences etc.). La deuxième classe de calamités (B) peut nous frapper à tout moment comme une fatalité venant de nulle part, sans cause humaine apparente, comme par exemple la mort prématurée de notre enfant, les maladies génétiques, les tremblements de terre etc. Maintenant il faut faire une deuxième distinction : est-ce que tu es actuellement directement confronté à de telles calamités ou est-ce que tu les crains ? Et si oui, lesquelles ?

Question :
Je crains les deux.

Réponse :
Cas A : Il faut constater que, actuellement, les valeurs intimes des collectivités ne sont pas suffisamment prises en considération pour rendre à la planète même un tant soit peu de ce qu’elle nous donne. L’intérêt personnel de l’identité collective prime sur les valeurs intimes. Ceci engendre une véritable menace pour la survie de la planète. En règle générale, ni les dirigeants ni ceux qui les élisent ne mettent leur attention suffisamment sur leurs valeurs intimes. Élire quelqu’un sans nous assurer de ses intentions nous rend autant que lui responsable de la continuité du déclin. La crainte de subir un jour les conséquences des actes de son propre intérêt personnel/de sa propre négligence ou de l’intérêt personnel des autres/leurs négligences est dans un certain sens justifiée. Elle nous renvoie à notre impuissance et à notre solitude. Ainsi elle peut nous servir à nous affirmer dans nos efforts pour chercher l’issue existentielle.
Cas B : Nous ne pouvons pas éviter d’office les incidents dits « marqués par le destin ». Le fait que nous soyons dépourvus de moyens de prévoyance ne doit pas nous mener à les refouler. Au contraire. Prendre conscience que le déroulement de ma vie peut subitement prendre une tournure jusqu’alors inconcevable transforme ma crainte en vigilance, en rappel de soi, en « Ehrfurcht » (µ). Tout peut arriver à tout moment. L’identité a de bonnes raisons de ne pas trop s’occuper de cela. Étant obligé d’émettre des jugements pour assurer sa survie, elle considère la confrontation intime avec la possibilité de faire partie d’un drame collectif ou individuel comme menaçante. L’identité ne peut pas saisir l’ensemble de l’existence. Seulement quand nous nous plaçons dans la dimension hors-identité, nous pouvons comprendre la loi de l’évolution (selon la tradition hindoue) concernant tout ce qui prend forme et qui comporte trois éléments : créer – maintenir – détruire. Tout ce qui existe est soumis à cette loi. Elle agit en permanence, nous n’avons pas besoin d’y croire. Elle est évidence, observable dans tous les phénomènes. Qui plus est, nous devons considérer la mise en action d’une des trois composantes comme aléatoire. Nous pouvons aller avec ou lutter contre. Mais nous ne pourrons jamais y échapper.

Question :
Et si j’étais directement concerné par ce genre de catastrophes ?

Réponse :
Quand nous ne les craignons plus, nous sommes en mesure de trouver les réponses adéquates au moment venu.

Question :
Est-ce que le travail sur la croyance de base est épuisant ?

Réponse :
Tenir l’identité en bon état consomme d’énormes quantités d’énergie vitale. La fatigue dite morale survient régulièrement pour accorder un repos au système nerveux éprouvant une lassitude à s’accrocher à la mémoire interne, à la représentation du temps, à la motivation personnelle etc., ainsi qu’à la lutte contre les manifestations de la croyance de base. Ce genre de fatigue consume l’énergie vitale. Une autre sorte de fatigue, consumant sous certaines conditions les mécanismes qui maintiennent le conflit de la séparation, peut survenir au cours du travail sur la croyance de base. Chaque fois qu’elle se manifeste en nous, nous rencontrons une résistance intérieure qui peut aussi prendre la forme de la fatigue ou de l’ennui jusqu’à l’épuisement. C’est un des moyens de la croyance de base pour s’opposer violemment à être mise en évidence. Quand nous apprenons à ne pas nous endormir pendant ces moments, comme le préconisent certaines traditions dont le Zen, nous pouvons participer consciemment au processus de sa désintégration.

(µ) « Ehrfurcht » est un mot allemand qui ne connaît pas d’équivalent en langue française. « Ehr » peut se traduire par révérence/respect et « Furcht » veut dire : appréhender la remise en question de son identité parce qu’il y a pressentiment d’être submergé par quelque chose de (dé) vaste (ateur). La « peur » de l’Ehrfurcht sait que je surévalue le rôle que joue mon identité. C’est une « peur » réelle qui n’est pas basée sur des représentations et qui s’accompagne d’une humilité naturelle non-forcée. Elle est accompagnée d’une profonde émotion de révérence vis-à-vis de la création qui m’entoure et dont je fais partie.

Question :
Est-ce que la vie psychique s’arrête quand la croyance de base n’agit plus ?

Réponse :
Oui. La vie dite psychique est maintenue par nos croyances, responsables de nos souffrances morales. En même temps, les mécanismes psychologiques, dont essentiellement les croyances, agissent comme un tampon pour amortir les chocs que nous subissons dans la vie. Les hauts et les bas, puis le travail sur soi, quand on se met en route pour la quête de l’essentiel, peuvent donner l’impression qu’il y a une évolution. Or, il n’y a évolution que quand on y croit. La perception pré-sensorielle n’évolue pas. Elle n’est pas non plus stagnation. Elle naît pour la première fois à chaque instant.

Question :
Comment détecter une idéologie ?

Réponse :
Les idéologies sont multiples. Ce sont des croyances collectives culturelles qui imprègnent toute la société. Nous en trouvons de multiples expressions comme par exemple le patriotisme, les partis politiques, les associations, les religions. Elles ont en commun d’aider à appuyer l’identité séparatrice. Adhérer à une idéologie collective peut être un signe d’un « je » immature : son identité a besoin des autres pour s’affirmer. Une identité accédant à maturité sait intuitivement qu’elle est seule, elle dénonce comme leurre qu’une quelconque solidarité fondée sur une croyance fournirait une solution pour elle-même ou pourrait changer quelque chose pour les affaires dans la société. Détecter une idéologie (c’est-à-dire l’adhésion à des croyances soutenues par un groupe) chez autrui est relativement facile et utile dans la communication fonctionnelle. Nous devrions être circonspects quand nous observons émerger en nous un assentiment concernant des convictions émises par quelqu’un.

KARMA

Question :
Qu’est-ce que le karma ?

Réponse :
Il existe dans la littérature une multitude d’interprétations de cette expression très ancienne. La loi du karma est aussi appelée la loi de cause à effet ; la comprendre fait partie des tous premiers apprentissages des êtres humains et des êtres animaux. Nous avons dû en effet nous rendre compte très tôt dans notre enfance que les choses de la vie évoluent selon le schéma cause/effet. L’intégrer dans son organisation mentale s’avère indispensable à la vie fonctionnelle. Mon estomac cause la sensation de faim et je pousse des cris pour appeler ma mère. Plus tard je cause le démarrage de la tronçonneuse et j’obtiens l’effet que la chaîne commence à tourner. Je cause l’achat des fleurs et j’obtiens l’effet d’un agréable sourire de la part de ma femme. Nous lions en permanence les phénomènes que nous rencontrons dans la vie en leur accordant la cause d’une part et l’effet d’autre part. En même temps, nous ne sommes pas conscients que c’est nous qui stipulons cette loi par une présupposition-croyance, utile certes, et très fonctionnelle. Mais nous oublions en règle générale que cette présupposition-croyance figure parmi les obstacles principaux à la compréhension du sens de la vie. On dit d’un « éveillé » qu’il n’est plus soumis à la loi du karma. Il a tout simplement compris que les causes-effets appartiennent légitimement au monde fonctionnel, au monde scientifique etc. ; il a cessé de croire que c’est une loi universelle. Une autre condition pour « échapper » à la loi du karma est de cesser d’entretenir (mentalement) des prédilections concernant le déroulement des événements. Nous ne pouvons jamais pénétrer les mystères de la vie tant que nous croyons à l’existence des causes. Du point de vue de l’existentiel, il n’y a pas de cause : il n’y a que des effets.

Question :
L’idée du karma est utilisée aussi dans les sens des actions positives encourant l’approbation d’une part et des actions négatives encourant la désapprobation d’autre part.

Réponse :
L’idée derrière le mot « karma » renvoie à un outil de travail spirituel sur moi-même. Quand nous transigeons avec nos valeurs intimes, nous corrodons les racines de notre conscience. Quelle est l’intention derrière toute auto-corruption ? Quand je suis les suggestions de mon intérêt personnel dans un projet donné, je suis en même temps convaincu que j’obtiens des effets propices et avantageux pour moi, en provoquant des causes qui sont en infraction avec mes valeurs intimes. Si je cède intentionnellement à cette tentation, je dois refouler le fait qu’en agissant ainsi j’entretiens et j’alimente mon propre syndrome de séparation. Je produis, comme on dit, du karma pour moi-même, parce que je renforce ma croyance en ma séparation. D’ailleurs, cette expression ne se prête en aucun cas à avoir des explications sur des phénomènes extérieurs à nous, et surtout pas à interpréter, voire juger, les actions ou les attitudes de quelqu’un d’autre. Quand nous voulons échapper, comme on dit, à la loi du karma, nous devons (entre autres) nous obliger à nous interroger sur l’intention personnelle derrière nos actions. Faire le bon choix n’est pas toujours le choix le plus facile.

Question :
J’ai plusieurs souvenirs d’avoir fait le bon choix. Ce qui s’est passé, c’est que je me suis retrouvé dans des embrouillaminis relationnels ahurissants qui se sont transformés en de virtuels cauchemars. Parfois j’avais même des doutes en ce qui concerne la valeur des valeurs intimes.

Réponse :
Je pense que tu fais référence à ce que j’appelle des « scénarios karmiques ». Ce sont des scénarios qui impliquent une prise de pré-conscience de la loi karmique et qui se déroulent de la manière dont tu les décris, exploitables à nos fins, à condition que nous ayons pris la décision que nous ne voulions pas faire abstraction de nos valeurs intimes. Tout au long de notre enfance jusqu’à l’adolescence, nous sommes obligés d’apprendre les lois de l’intérêt personnel pour pouvoir nous intégrer dans la vie sociale. Parmi les conflits majeurs d’un jeune pendant la puberté se trouve celui de l’intérêt personnel opposé aux valeurs intimes. L’adolescent est donc obligé de quitter un jour les derniers rêves et les dernières illusions de son enfance pour s’affirmer dans son identité/intérêt personnel. Prendre complètement parti pour l’intérêt personnel étant quasiment impossible, le conflit continue à braiser sous la surface. Il s’agit alors pendant un certain temps de naviguer entre les valeurs intimes et l’intérêt personnel. Les scénarios karmiques sont déclenchés par une brusque auto-affirmation des valeurs intimes dans une action donnée (le bon choix). Cette prise de conscience libératrice est souvent mal vécue par les différents intérêts personnels de l’entourage, qui risquent de s’acharner. Le tohu-bohu relationnel prend forme. A la fin, souvent il y a rupture et une nouvelle étape commence.

Question :
Et le karma est brûlé, comme on dit ?

Réponse :
Je ne peux pas adhérer à cette expression. Il est très difficile d’évaluer ce genre de situation, même après coup. Dans chaque scénario karmique il y a une multitude d’aspects différents, ainsi qu’une multitude d’occasions de travail sur soi. Dans le meilleur des cas – et cela, on ne le saura que beaucoup plus tard – on aura résolu une partie du conflit entre les valeurs intimes et l’intérêt personnel.

Question :
Comment puis-je savoir que j’ai résolu ce conflit définitivement ?

Réponse :
Tu le sauras au moment où tu le sauras. Je ne peux pas en dire plus.

Question :
Qu’en est-il de la chance et de la malchance ?

Réponse :
En premier, ces sujets sont des modèles, des présuppositions, des interprétations inventés par l’homme pour se donner des explications. Chacun choisit parmi ces modèles selon sa culture plus ou moins volontairement ce qui lui convient. Quant à la chance/malchance, c’est toujours un jugement arbitraire. Il n’y a pas d’endroit objectif où se placer pour attribuer à un événement le qualificatif chance ou malchance. Selon le point de vue que je prends, chaque situation peut être considérée comme chanceuse ou malchanceuse. Deux histoires du répertoire Soufi peuvent indiquer cette direction :

ON VA VOIR

Un éleveur de chevaux possédait un troupeau magnifique, qui vivait la plus grande partie de l’année en liberté sur ses prairies étendues. L’homme était considéré comme riche, il avait un fils en bonne santé, et plus d’un de ses voisins lui avait déjà dit : « Quelle chance tu as ! » L’homme s’était toujours contenté de répondre : « On va voir. »
Un matin l’homme s’apercevait que l’étalon le plus beau, le prince du troupeau, avait quitté les prairies habituelles, et on le croyait perdu à jamais. Les voisins dirent : « Quel malheur ! C’était surtout sur lui que reposait la vie de ce troupeau magnifique ! » L’homme ne dit que : « On va voir. »
Quelques semaines plus tard, un soir apparut la belle tête noire de l’étalon au-dessus de la barrière de l’enclos : il n’était pas seul, mais accompagné d’un grand groupe de chevaux sauvages, qui restèrent sur ces terres avec le troupeau. Les voisins étaient admiratifs : « Ça alors ! Voilà ton troupeau agrandi considérablement ! Félicitations ! » L’homme dit : « On va voir. »
Parmi les nouveaux arrivés sauvages était un jeune poulain magnifique mais farouche et apparemment indomptable, qui ne se laissait pas approcher. Quand vint le temps de le préparer à être monté, tout le monde essayait de le maîtriser et abandonnait, après un rude bain de poussière. Seul de fils de l’homme réussit, après un long et patient travail, à s’en faire un ami, et il ne montait dorénavant que ce cheval-là. Jusqu’au jour où, après une ruade imprévue, il tomba à terre avec une violence telle que sa jambe se brisa et ne laissa pas d’espoir d’une guérison complète. Les voisins se lamentèrent : « Voilà ton fils estropié, peut-être à vie ! Si seulement il n’avait jamais rencontré ce poulain… » L’homme ne dit que : « On va voir… »
Des mois passèrent, et c’est la guerre : une tribu voisine très hostile attaque, et tous les hommes jeunes sont d’office intégrés dans l’armée. Le fils de l’homme, avec sa jambe malade, est le seul jeune à rester à la maison ; et il sera le seul survivant de sa génération à la fin de la guerre…

LA CHANCE DE L’UN PEUT ÊTRE LA MALCHANCE DE L’AUTRE

Une femme avait deux filles ; l’aînée était mariée à un horticulteur, la plus jeune à un potier, chacune participant au travail, aux joies et aux soucis du mari. Cette femme aimait beaucoup ses filles, et depuis longtemps elle réfléchissait comment leur faire vraiment plaisir, comment trouver un cadeau qui puisse leur être réellement utile et les aider. « Je vais prier pour elles », se dit-elle. Et comme l’anniversaire de l’ainée approchait, elle priait pour une bonne pluie longue, fraîche, bienfaisante, afin que ses légumes et ses fruits soient les plus goûteux, les mieux développés. Et sa prière fut exaucée : juste au jour de l’anniversaire une pluie douce et tiède se mit à tomber qui dura deux semaines. Au bout de cinq jours, la femme eut la surprise de voir sa fille cadette qui venait lui rendre visite tôt le matin. On voyait qu’elle avait beaucoup pleuré. « Maman, c’est fini. Mon mari va faire faillite. Aide-nous si tu peux et accueille tes petits-enfants sous ton toit, tandis que nous deux irons chercher du travail ailleurs. » – « Mais qu’est-ce qui vous est donc arrivé ?  » – « Mon mari avait reçu une grosse commande de la cour, pour confectionner la poterie fine destinée à la princesse qui va se marier. Il s’est engagé à finir ce travail délicat avant une date précise. Quand tout était façonné, il a préparé le four, il a tout fait cuire avec le plus grand soin – et au moment de sortir les pièces du four pour les faire sécher, il commence à pleuvoir. D’habitude il ne pleut jamais ici à cette période de l’année, et cette fois ça ne s’arrête même pas la nuit. Tout son travail a été gâché, parce qu’il n’a pas pu faire sécher les pièces. »

Quand je cesse d’interpréter les événements que je rencontre, j’ai de la chance : je ne crains plus la malchance et je n’espère plus la chance. Au lieu d’attribuer un jugement aux situations rencontrées il s’installe une évaluation exhaustive de celles-ci caractérisée par l’absence d’a priori et d’interprétations. En outre, l’absence de jugements nous permet, toujours dans l’instant-même, de comprendre la signification non-mentale et non-émotionnelle des événements, et d’y répondre adéquatement.

Question :
Le déroulement de la vie, est-ce récurrence, prédestination ou hasard ? Est-ce qu’il y a plusieurs vies ou une seule ?

Réponse :
Nous voilà encore une fois dans le royaume des croyances et des modèles développés par les différentes cultures concernant les questions existentielles. La vie est. Et nous sommes libres de spéculer sur les soi-disant vérités cachées. En tant qu’êtres humains nous sommes très capables de nous convaincre de quelque chose de façon à ne plus être en mesure de discerner entre faits et croyances. Il est prouvé que la réincarnation existe, que la prévoyance existe, que les ovnis existent. Et il est prouvé que tout ceci n’existe pas. Quand nous croyons en quelque chose, il y a de fortes chances que, avec suffisamment de persévérance, nous tombions sur des preuves subjectives que ce à quoi ou ce en quoi nous croyons existe vraiment. Qui plus est, quand – par exemple – la croyance en la réincarnation est suffisamment appuyée, elle risque de devenir réalité. C’est la même chose avec les idées comme : « le hasard qui n’existe pas » ; c’est encore la même chose avec les spéculations sur la récurrence ainsi que sur la prédestination. Quand je crois en quelque chose, je cherche à trouver la confirmation. Chacun dispose de stratégies personnelles qui lui permettent d’être convaincu de quelque chose. Or, c’est relativement facile de tomber sur quelqu’un d’autre qui est convaincu du contraire : la guerre des croyances est imminente. Le Bouddha dit : celui qui s’éveille à sa nature véritable aura vécu sa dernière incarnation. Il a raison : quand Dieu nous tombe dessus, nous ne croyons plus en rien. Et puisque nous ne croyons plus en rien, nous ne croyons plus non plus en la réincarnation. Il s’ensuit que nous vivons notre dernière incarnation. Réincarnation ou pas, pour s’éveiller dans le sens de Bouddha, il faut laisser tomber toutes les croyances, aussi bien celle en la réincarnation que celle en une seule vie. La vie vit. Dans l’instant-même. Point. Tout le reste est spéculation mentale futile qui mène à quelque chose (de trop).

LA RELATION

Question :
Quelle est l’importance d’un expert-guide sur cette voie ?

Réponse :
Dans la vie on trouve très peu d’autodidactes. Habituellement, la plupart des personnes qui excellent dans leur domaine ont eu un ou plusieurs maîtres qui leur ont transmis leur savoir-faire. La transmission est un phénomène universel chez les humains et qui commence quand nous sommes enfants. Nos parents, nos proches et nos enseignants sont les premiers à essayer de nous transférer leurs compétences. Partout, il y a des experts véritables, des incompétents et des charlatans.

Question :
Comment reconnaître un expert authentique ?

Réponse :
En l’observant. Imaginons que je veuille apprendre le métier de garagiste et je souhaite trouver un maître compétent ; qu’est-ce que je fais ? Je lui parle et je l’observe dans sa façon de travailler et de recueillir des informations, ses compétences didactiques, sa manière de se comporter vis-à-vis des autres, sa réputation etc. Si sa façon de procéder me convient je lui demande s’il accepte que je devienne son apprenti. Ensuite il me dira ce qu’il attend de moi.

Question :
Dans le domaine de la spiritualité, il y a beaucoup de personnes qui se disent des maîtres. A qui me confier ?

Réponse :
Il n’y a jamais de certitude. Ceci vient du fait que nous ne pouvons pas percevoir l’autre tel qu’il est, de façon objective. N’oublions pas que nos propres sens, nos valeurs ainsi que nos croyances filtrent ce que nous percevons, la carte (qui nous permet de nous orienter sur la planète) n’est pas le territoire (la vie sur la planète)  ce sont des limitations avec lesquelles nous devons vivre. Quelqu’un d’autre demeure à jamais insaisissable.

Question :
J’en conclus que je dois prendre mes responsabilités quand je deviens apprenti.

Réponse :
Oui.

Question :
Tout à l’heure tu disais qu’il y a des charlatans et des incompétents. Quels sont les caractéristiques d’un imposteur ?

Réponse :
Certains charlatans dans le domaine de la spiritualité fondent une organisation basée sur l’intérêt personnel. Le système capitaliste clame ouvertement son adhésion à l’intérêt personnel ; dans ces organisations il est déguisé en une idéologie pseudo-religieuse-missionariste-rédemptrice qui de surcroît cache les véritables intentions (pouvoir, argent, affirmation perpétuelle de sa gloriole/amour-propre) du fondateur et de ses comparses. La plupart de ces groupes sont structurés de façon hiérarchique ce qui permet au grand chef de légiférer et d’imposer sa supériorité. Il diffuse les promesses de salut, à jamais reportées dans un futur qui ne se réalise jamais. Quand il annonce à un de ses adeptes qu’il a atteint le plus haut niveau, le « maître » aura déjà miraculeusement accédé à un niveau encore plus suprême. Les ouailles sont bien sûr les élus et font partie de l’élite de l’humanité. Gare à celui qui quitte cette organisation : « Si tu adhères, tout t’est promis, si tu t’en vas, tout sera perdu éternellement ! » Du côté des adeptes, le scénario n’est guère plus flatteur : les rêves secrets que la grâce du chef et le « service » envers l’organisation va les libérer un jour de leur misère les propulsent tout droit dans les méandres de la corruption, c’est-à-dire à l’abandon des valeurs intimes, comme seul moyen de grimper sur l’échelle menant aux cieux.

Question :
Et l’expert authentique ?

Réponse :
Parlons plutôt du côté de ceux ou celles qui s’engagent avec lui. Voici quelques indices qui relèvent de mon propre « parcours du combattant ». J’ai très vite compris qu’il me fallait m’engager avec quelqu’un qui « sait ». Il était toujours très important pour moi d’avoir ce contact direct. J’ai eu plusieurs guides, et après une période d’observation, j’ai décidé de faire comme s’ils étaient des experts compétents, c’est-à-dire que j’ai essayé de suivre leurs propositions et leur méthodologie. Je sais maintenant que je ne suis jamais tombé sur un charlatan. Au cours de cette évolution j’ai été obligé de développer en moi diverses attitudes internes que je juge encore aujourd’hui comme propices pour celui qui désire aller jusqu’au bout de son évolution. Ces attitudes sont toutes également importantes :

  • la sincérité vis-à-vis de soi.
  • savoir faire abstraction de ses propres projections (représentations) mentales = savoir ne pas croire sa propre lecture de pensée.
  • prendre ses responsabilités envers la société, la vie professionnelle et familiale ; continuer à fréquenter les gens « normaux » ; s’abstenir de se comporter comme quelqu’un de particulier. « Je ne suis pas mieux ; je ne vaux pas plus que mon voisin ou mon collègue de travail. » Ne pas abandonner volontairement ses hobbies ; leur donner un caractère ludique.
  • la fiabilité, savoir terminer une action, savoir aller jusqu’au bout d’un projet.
  • l’engagement, c’est à dire oser la relation. Essayer de saisir l’intention du guide. Poser des questions dont la réponse risque d’être inconfortable voire dérangeante. Devenir actif dans la recherche de cette relation. Surtout ne pas obéir, mais considérer sérieusement propositions, suggestions, conseils ; les écouter au 3ème degré (souvent ces indications sont très discrètes, parfois volontairement cachées.) Être prêt à vivre des périodes d’embrouillement ou d’embarras, sans pour autant en faire pâtir les affaires de la vie quotidienne. Être prêt à recevoir des chocs. Se référer toujours à soi-même : prendre ses responsabilités en ce qui concerne tout ce qui se passe dans cette relation. Quand on a appris à prendre ses responsabilités, on n’est jamais dans le besoin (de reprocher quoique ce soit à qui que ce soit).
  • être vigilant : avoir le projet de vouloir comprendre selon quels critères il détermine ce qu’il fait. « Qu’est-ce qu’il a compris que je n’ai pas encore compris ? – Qu’est-ce qu’il vit que je ne vis pas ? »
  • bien discriminer la vie fonctionnelle du guide et ses qualités en tant qu’instructeur ; ne pas croire qu’il est parfait ou qu’il ne commet pas d’erreurs d’évaluation. La façon dont il gère sa vie ne concerne que lui. Partir de la présupposition qu’il prend probablement plus ses responsabilités que moi-même pour ce qu’il fait et pour ce qu’il ne fait pas.
  • la discrétion, le secret : anticiper le non-nommable en se rendant « invisible » = vivre une vie normale, sans présomption apparente ; être bien enraciné dans le quotidien.
  • développer « l’écoute du cœur » qui est entre autres caractérisée par la maîtrise du dialogue interne et qui fait naître le pressentiment que tout est un.
  • s’occuper soi-même de sa santé psychique ; s’abstenir d’attendre de lui un mieux-être ; être clair quant à la futilité d’espérer des avantages (surtout concernant la vie fonctionnelle) de la relation avec lui.

SENTIMENTS

Question :
Est-ce que les sentiments sont des phénomènes reliés au temps ou des phénomènes hors temps ?

Réponse :
Derrière ce que nous appelons « les sentiments (émotionnels) », il y a toujours l’intérêt personnel de l’identité qui aime légitimement s’attacher aux joies du présent et qui déteste aussi légitimement les peines présentes. Les joies et les peines passées deviennent des représentations, et l’intérêt personnel les enrobe de nostalgie. Les joies futures, il les attend. Les peines futures, il les craint. Bien que la perception pré-sensorielle se situe hors temps, elle se manifeste à travers l’être humain par la valeur de base, et ceci exclusivement dans l’instant présent (qui est toujours déjà passé quand on le pense). Ces instants présents sont percevables par ce que j’appelle des « sentiments perceptifs » (non-représentables). Les sentiments perceptifs sont d’un autre niveau logique et se distinguent ainsi nettement des sentiments émotionnels – exprimés de façon tous azimuts par l’identité qui penche pour la complexité labyrinthique – de par leur simplicité et leur maniabilité. Ils émergent – toujours dans l’ici et maintenant – d’un espace (de sérénité absolue et de paix éternelle) infini et hors temps engendrant une impression perceptive (non-représentable) d’être relié à tous les phénomènes. Un sentiment émotionnel occupe le « devant de la scène » et se nourrit de notre identification à l’objet ou au sujet de notre sentiment. Prenons un exemple : Giselle se promène tranquillement dans la nature, subitement elle pense à son patron qui, la veille, l’a injustement soupçonnée d’avoir téléphoné à l’étranger à titre privé. Toute son attention est immédiatement retirée de la perception environnementale et se focalise sur cet incident. La perception du contexte se rétracte et cède la place à une représentation sentimentale. Celle-ci est nourrie de l’identification avec elle, le reste de la situation est occulté et l’incident au travail devient plus important pour elle que le brin d’herbe au bord du chemin. Un autre exemple : pensons à deux personnes qui ont suscité en nous de par leur comportement de fortes réactions, dont l’une de la colère et l’autre de l’enthousiasme. Nous pouvons constater que, ayant focalisé notre attention sur la colère ou sur l’enthousiasme, nous n’avons pas seulement perdu temporairement le contact avec l’ensemble du contexte dans lequel nous nous trouvions, mais que nous n’étions plus conscients de la relativité de ces incidents par rapport à l’ensemble de notre vie. La perception pré-sensorielle perçoit simultanément et sans émotion, dans une optique holistique, un phénomène et les liens que tous les phénomènes tissent entre eux. L’univers est perçu comme étant un impersonnel. L’essence de l’existence est résolument impersonnelle, et nous ne pouvons pas l’appréhender avec nos sentiments émotionnels. C’est grâce à la valeur de base que nous pouvons nous éveiller à nos sentiments perceptifs, à notre empreinte personnalisée-sacrée, nous permettant de percevoir l’âme de l’existence, dans toutes ses manifestations. Contrairement à ce que nous pourrions ou à ce que nous voudrions croire, la véritable nature des phénomènes (nous-mêmes inclus) n’est pas susceptible d’être perçue par nos sentiments émotionnels. C’est la valeur de base ainsi que l’abolition de la croyance de base qui nous permet de naître à notre âme : nous laissons derrière nous nos sentiments émotionnels pour accueillir et reconnaître nos sentiments perceptifs qui nous remettent en contact avec notre spontanéité d’antan, quand nous étions enfants – comme la chenille qui se quitte, en accueillant le papillon pour se reconnaître en lui.