Note au lecteur : le bleu italique correspond à l'instructeur ; en noir, les autres intervenants.

Sincérité

Stephen Jourdain parlait de ne pas se mentir à soi-même : ça, j’aimerais bien comprendre ce que ça signifie réellement. Chaque fois que L. fait allusion à la sincérité, je me demande de quoi parle-t-elle ? Et vous, ça vous dit quoi ?

Ce qui me vient c’est : se mentir à soi-même est un geste mental, une sorte particulière de tampon, cela implique de se cacher de la souffrance nécessaire. Avec le temps, si tu l’observes, tu viendras à reconnaître une certaine mauvaise odeur qui ne trompe pas. La sincérité est l’antidote. La sincérité est plus profonde, plus mature, plus sage, plus détendue. La sincérité reconnaît l’auto-illusion par la séparation qu’elle crée, l’émotion infantile de peur qu’elle contient. L’auto-illusion est le plus souvent la maintenance d’une image flatteuse de soi-même.

Pour moi, c’est le désir, puis la décision et l’engagement, d’aller voir la source de ce que je fais, dis, ou ne fais pas, ou ne dis pas. Et pour ça, j’ai des outils : « intérêt personnel, considération interne, évitement. » Et quand ce n’est pas net, de laisser le projecteur sur la question, encore et encore, en considérant pleinement les renvois des autres.

Pour moi, il arrive que je me mente à moi-même quand je sais intérieurement quelle est la bonne chose à faire et que je ne la fais pas, et qu’à la place, je me dis que c’était juste de ne pas la faire « parce que, blablabla ». Un certain degré de conscience (rappel de soi) est nécessaire pour ça ; dans le sommeil total, ce n’est pas possible. Me mentir à moi-même c’est dire non à l’invitation au rappel de soi et déserter l’être véritable.

La sincérité, c’est dire « je ne sais pas » quand je ne sais pas, plutôt que de donner une réponse pour prétendre savoir. La sincérité, c’est de ressentir ma nullité ou mon manque de courage quand je me sens en difficulté. Plutôt que de faire de la mauvaise foi : « je suis un mec super, presque parfait, mais là, je n’ai pas eu de chance et ce n’était pas un bon jour, ce n’est pas juste. » La sincérité, c’est d’oser dire que je me sens blessé plutôt que d’attaquer l’autre en réponse à une critique. La sincérité, c’est d’accepter mon humanité et mes limites, plutôt que de vouloir à tout prix les cacher aux autres et à moi-même. La sincérité ici n’a rien à voir avec le fait de dire la vérité aux autres. Comme on l’a dit une fois, au contraire, il y a des moments où pour être sincère avec soi-même, il faut savoir mentir aux autres. La sincérité, c’est l’absence de décalage entre ce qui est et ce que je vis. C’est traquer à tout instant le désir « égotique » de nier un fragment de ce qui est parce que j’ai un jugement. La sincérité est une autre facette de l’accueil-acceptation.

Les mots de L. sur la sincérité m’avaient marqué très fort lorsque je l’ai entendu parler de cela il y a plusieurs années. Pour moi-même j’ai découvert que la sincérité était une vibration vivante à l’intérieur de moi, aussi réelle qu’une démangeaison sur ma peau, peut-être une émotion sincère bien que je ne m’inquiète pas de vouloir la définir. Quand je suis centré dans la sincérité, les mensonges s’effondrent sans effort car ils n’ont pas de place, comme l’obscurité dans une pièce bien éclairée. Toutes les motivations à mentir s’évanouissent. Mentir est une conséquence des incongruités de la personnalité, s’il y a personnalité il y aura des mensonges vu que la personnalité est bâtie sur le mensonge de la croyance de base et doit mentir pour soutenir son existence. Mon seul effort est dans le rappel.

Ma façon d’envisager la sincérité à soi-même et d’en parler serait de dire que lorsqu’il y a identification il y a mensonge, quand je m’identifie je suis dans le mensonge, c’est un mensonge passif car non conscient, je ne peux le reconnaître comme mensonge qu’en en sortant ou en m’en détachant, d’où l’importance d’être en vigilance pour ne pas laisser le mensonge/identification m’enrober au point d’oublier le rappel de soi. S’il y a identification totale il n’y a plus de rappel de soi, il n’y a plus de soi, il n’y a plus rien que le mensonge. Plus rien qu’une personnalité qui s’agite telle une marionnette croyant être libre de ses mouvements sans voir les fils transparents qui la guident. En un petit résumé rapide je pourrais dire : personnalité (ou fausse personnalité si on veut) = mensonge/croyance de base, intérêt personnel. Identification = croyance à son propre mensonge, inconscience. Sincérité = reconnaissance que le mensonge n’est que ce qu’il est/détachement/non identification. Fin du mensonge = essence, rappel de soi, expression de la valeur de base.

L’accueil et l’acceptation ouvrent à l’humilité, et la sincérité, alors, c’est dire oui sans doute. Seule cette sincérité profonde m’obligerait à exprimer le doute s’il se faisait ressentir, au-delà de tout jugement, d’intérêt personnel, sans peur et sans concessions, dans le devoir de le faire au nom de la vie qui nous unit au-delà de notre propre personne, de ce qui nous est commun au-delà de nos différences, dans le sens du vrai qui ne peut que dénoncer le faux. On ne peut pas accepter le mensonge personnel, se mentir à soi-même: c’est tomber dans l’oubli, se séparer de l’authenticité de ce que l’on est, c’est volontairement nier la réalité qui nous relie au vivant qui nous traverse et nous anime, c’est de la lâcheté, c’est de la trahison, la fuite de ses propres responsabilités.

Le vrai est le même pour tous dans la conscience de la non-séparation de ce qui est « son vrai » et la sincérité de son engagement à servir ce qui est à travers ce que l’on est, dans l’élan de l’action de servir, servir la richesse de la joie grandie de ce qui nous relie, dans ce point de rencontre qui s’ouvre sur un espace infini qui englobe l’essence même de ce qui naît dans ce que l’on est. Absence vide d’absence, dans la transparence d’un invisible toujours présent au cœur de son essence, avide de vibrer au son d’un temps visible dans la joie d’un partage à l’unisson.

Alors pour moi, il y a 2 choses : ne pas se mentir à soi-même, c’est ne pas être dupe de la mascarade et ne jamais oublier celle que je suis réellement. Jouer le jeu oui, pleinement, et avec joie et amour, mais ne jamais oublier que ce n’est qu’un jeu. Quand je parle de jeu, cela signifie le jeu de la société humaine tel que nous le vivons tous dans notre quotidien. Cela revient à dire : rester en contact avec ma valeur de base tout le temps.

Ce qui me vient tout de suite et de façon très évidente, très forte c’est la sensation de légèreté, de propreté, de calme, de vide mais du vide qui implique de l’espace ; et à l’inverse quand je rechigne à me dire, à reconnaître là où ça fait mal c’est de l’inconfort qui peut durer ; en fait c’est de la procrastination, mais il me faut parfois du temps, du calme pour identifier ce que je me cache et puis aussi le moment où je me livre en toute sincérité me met dans un état qui ressemble beaucoup à ma valeur de base.

J’ajoute à ce qui a été dit sur la sincérité:

– Reconnaître à chaque fois que ça arrive, ses erreurs et ses imperfections.

– Remords (souffrance nécessaire), sans culpabiliser (se pardonner au niveau du centre émotionnel) au lieu de (se) justifier.

– Indispensable pour celui qui prétend vouloir arriver au bout.

– Essentiel pour vivre pleinement sa valeur de base (dans l’action).

– Se mentir est un tampon pour éviter d’accueillir une souffrance nécessaire.

Le remords : c’est de la souffrance de ne pas avoir été sincère, d’avoir fait ou pas fait, dit ou pas dit par intérêt personnel, par considération interne, d’avoir décliné l’invitation au rappel de soi. De ne pas avoir été « conforme » au joyau que je sais être, = souffrance utile et nécessaire ; alors que dans la culpabilité, il y a de la plainte, du gémissement ; c’est de la souffrance qui me colle à la peau, il n’y a pas de recul possible, je n’apprends rien sur moi car ça appelle la justification, c’est l’autre, les circonstances.