Note au lecteur : le bleu italique correspond à l'instructeur ; en noir, les autres intervenants.

Permanence versus Impermanence

N., est-ce que tu arrives à rester centrée ?

Pas toujours.

Et qu’est-ce qui se passe quand tu n’es pas centrée ?

Il y a des tensions, des peurs qui surgissent.

Quelle est la peur essentielle ?

La peur essentielle est d’être mal-aimée, il me semble.

Qu’est-ce que je pourrais faire pour que tu te sentes mal-aimée ?

Tu pourrais par exemple me dire de ne pas revenir, ou que je n’ai pas ma place ici.

Et qu’est-ce qui te permettrait d’accueillir ça sans te sentir mal-aimée ?

J’aimerais réussir à rester en conscience corporelle. Parfois ça fonctionne, mais parfois ça bascule, je ne sais pas pourquoi.

Et comment sais-tu que ça fonctionne, quand ça fonctionne ?

Il y a une ouverture, une détente, comme si je tombais à genoux en disant : « ok. »

Relâchement, abandon, capitulation ?

Capitulation, oui !

Et combien de temps peut durer cette capitulation ?

Quelques minutes.

Et après, il se passe quelque chose qui te « décapitule » ?

Oui! C’est le fait de vouloir que ce soit « une fois pour toutes ». Je sais que cette question-là est récurrente. J’aimerais faire durer la capitulation dans le temps, au lieu qu’elle surgisse d’instant en instant.

C’est un désir ?

Oui, c’est le désir que ça dure toujours, et qu’il n’y ait qu’un effort à faire, un seul, définitif ! (rires)

Est-ce que tu es prête à sacrifier ça ? À décapiter ça ?

Oui.

Est-ce qu’il y a quelqu’un d’autre ici pour qui c’était un sujet, à un moment donné ?

Oui !

(s’adressant à C.) Et pour toi ?

Oh oui ! (rires) Combien de fois j’ai dit : « Ah, ça y est, je l’ai, c’est bon » et puis deux jours après, c’était fini. Pendant des années j’ai été convaincu que ça durerait toujours. Mais maintenant, ce désir n’est plus là. Un jour j’ai réalisé que le désir de permanence n’est pas vrai, n’est pas réel. C’est la fatigue, l’usure qui m’ont fait réaliser cela. Je n’ai tout simplement pas l’énergie pour maintenir ce désir de permanence.

J’ai l’impression que ça a changé quand j’ai réalisé que la souffrance nécessaire était à accueillir aussi dans les toutes petites choses, et pas seulement dans les gros morceaux. Ça a créé un relais de petit accueil en petit accueil, et finalement ça s’est dissout. J’ai longtemps cru que l’accueil de la souffrance nécessaire, c’était lors des grosses perturbations. Mais comme elles n’arrivaient plus, alors j’ai compris qu’il restait les petites choses, à prendre les unes après les autres.

Les contretemps, les contraintes.

Oui. La souffrance nécessaire, c’est aussi le fuel pour la transformation. La vision change : l’obstacle devient une opportunité, au lieu d’être un empêchement. Il fait grandir, on ne cherche plus à s’en débarrasser.

Et ça crée une détente, il n’y a plus ce désir envahissant.

C’est un grand soulagement, oui.

La réalisation est en dehors du temps, alors que la permanence est dans le temps. Donc la permanence est forcément au niveau de l’identité.

Ce désir de permanence est un piège extraordinairement fin.

Est-ce que tu peux imaginer de ne plus avoir ce désir ?

Oui.

Et ça te confronte à quoi quand tu n’as plus ce désir ?

À la fluidité. Je m’aperçois que chez moi le désir de permanence existe même dans les petites choses : je pense par exemple au ménage qu’il faut tout le temps refaire. Désirer la permanence, c’est une résistance au courant, ça va contre la vie.

Oui, parce que la vie est un continuum, c’est le changement, toujours neuf et imprévisible. Le désir de permanence est clairement contre la vie.

C’est un des fondements de l’identité.

C’est plus qu’un fondement, c’est presque la définition de l’identité. Identité signifie : qui ne change pas, qui est permanent. L’identité, c’est ce que je peux pérenniser en disant : ça c’est moi, c’est toujours là, ça a toujours été là, et ce sera toujours là.

C’est pour ça que l’impermanence est si importante dans les traditions.

Pour moi, l’image que tu as utilisée en début de semaine illustre bien cela : celle d’une roue qui tourne, où l’important est de vérifier de temps en temps que ça tourne, et au besoin donner un petit élan pour relancer la roue. Il ne s’agit pas d’aller d’un point A à un point B, le but n’est pas d’arriver quelque part !

C’est ça qui est très subtil, car pour que la roue continue à tourner en permanence, il faut rester dans l’impermanence. Ça demande d’avoir accumulé beaucoup de force et un certain degré de maturité. Évidemment, c’est l’accueil de la souffrance nécessaire qui donne cette force, cette énergie.