Note au lecteur : le bleu italique correspond à l'instructeur ; en noir, les autres intervenants.

Oser se remettre en cause

Remarque: cet échange concerne principalement une personne récemment arrivée dans le groupe, pour qui cette rencontre était l’une des premières. Les paroles de cette personne sont marquées par un (G) en début de ligne.

Comment s’est passée cette rencontre, pour toi ?

G. Ça m’a permis de comprendre certaines choses comme la notion de conscience corporelle. Et aussi de voir certaines articulations et de recevoir certains messages. Ça me renvoie aussi à une certaine forme d’autisme par rapport à certaines situations que je rencontre et ça m’oblige à remettre ça en question. Après, d’en avoir saisi tout le sens, non ! J’en ai eu une compréhension partielle seulement. Malgré les reformulations de certaines personnes, je sais que même si j’ai entendu, je n’ai pas toujours saisi.

Si tu ne comprends pas tout, ce n’est pas grave. L’instructeur m’a demandé de prendre une décision existentielle plusieurs fois ces 3 dernières années, et je n’ai compris de quoi il parlait que ce matin. Reste simplement engagé et accepte la souffrance nécessaire de ne pas tout comprendre, de ne pas savoir ce qui se passe.

J’aimerais ajouter qu’en prévision de la prochaine fois que tu t’apprêtes à être bouleversé, à remettre en cause tes croyances. Ne pas comprendre, ce n’est pas un problème. D’autres sont comme ça, mais ils sont prêts à être bouleversés. Parce que l’enseignement ne se passe pas dans la tête. Parfois, on peut comprendre après coup, des années plus tard, mais pour avancer, il faut beaucoup de dépouillement.
Et même si tu as déjà beaucoup souffert, ce n’est pas le même genre de souffrance dont il est question.

J’ai bien aimé ta sincérité quand tu as dit que tu n’avais pas tout compris. Au moins, là, on sent ton authenticité. En revanche, je t’invite à mettre des points d’interrogation là où tu dis avoir calé le vocabulaire et la définition de la conscience corporelle. Il m’a fallu 10 ans ou 15 ans pour comprendre. On n’en parlait pas autant au début, néanmoins je croyais comprendre de quoi il s’agissait. Mais je me rendais compte, le coup d’après, que c’était encore autre chose. Il faut plutôt le prendre comme quelque chose qui va s’affiner. Donc, je t’invite à toujours t’ouvrir au « je ne sais pas » et à ne pas redonner le pouvoir au mental qui veut fixer la définition le plus vite possible.

Ce n’est pas qu’une question de vocabulaire. On utilise le vocabulaire pour pouvoir échanger et parler des mêmes choses. Mais si tu prends ce vocabulaire pour le coller sur ce que tu connais déjà, alors là, c’est foutu.

Par exemple, tu as dit à un moment : « oui, j’ai compris, la conscience corporelle, c’est l’âme ». Si j’avais été toi, je n’aurais pas dit ça. J’aurais dit : « Ah ! Ok ! Il y a un truc qu’on appelle ici la conscience corporelle ». Ce n’est qu’après que tu pourras voir si c’est la même chose que ce que tu appelles âme, ou pas.

Ça ne sert à rien de remplacer une expression nouvelle par une expression que tu connais déjà. Tu peux partir de la présupposition que tu ne connais que 4% de ce dont on discute ici. Et même si l’âme c’est la même chose que la conscience corporelle, alors probablement, tu ne connais que 4% de l’âme. Mais le mieux, c’est de mettre de côté ce que tu crois avoir compris, et aller vers ce que tu n’as pas compris. C’est comme ça, ici. Quand tu viens ici, comme tout le monde, accepte de ne savoir que très peu de choses sur la vie réelle. Si tu veux grandir, il faut partir du principe que tu ne connais pratiquement rien.

Ça fait référence à l’histoire zen que vous connaissez tous : un disciple va voir son maître et le maître lui sert du thé. Alors que la tasse est déjà pleine, le maître continue de verser et le thé déborde. Pour recevoir une transmission, il faut être ouvert et vide. Si tu es trop plein de toutes tes idées, de toutes tes lectures, de toutes les rencontres que tu as déjà faites dans une vie bien remplie, ce n’est pas possible. Le piège, c’est de comparer.

Je sais qu’avant, je lisais beaucoup, mais depuis que j’ai commencé ici, je ne lis presque plus. Peut-être qu’un jour ça reviendra.
C’est pour cela qu’en Feldenkrais, on utilise plein de stratégies : pour que la personne ne puisse plus se raccrocher à ce qu’elle connaît déjà.
Pour moi, ça a été un passage très important, de ne pas invalider ce que je ressentais, tout en réalisant que ce n’était pas ce qu’on me demandait de faire. Avec cette compréhension, il n’y a plus de comparaison, mais tu vois le lien en toi. Ça offre une perspective beaucoup plus grande. Et même s’il y a une certitude en toi, tu peux la garder tout en écoutant ce qu’on te demande de faire. Il faut alors oser aller de ce que tu sais vers tout ce que tu ne sais pas.

Je me souviens de mon premier contact avec le groupe : sur le site internet, à l’époque, il y avait 4 questions. La première était : « Qu’as-tu fait jusqu’à aujourd’hui pour mettre fin à ton histoire personnelle ? ». Confronté à cette question, d’abord je me suis dit que j’avais lu et essayé quelques trucs. Puis j’ai regardé en moi avec sincérité, et je me suis dit qu’en fin de compte, j’avais grattouillé un peu mais dès que ça devenait sérieux, je faisais marche arrière. Et au final, j’étais toujours sur la première marche de l’échelle.

Il y a aussi un mot qu’on n’utilise pas souvent mais qui est important, surtout au début. C’est « se défaire » ou « se dépouiller ». Il faut se considérer comme une poubelle dans laquelle il y a un trésor caché. D’abord, il faut apprendre à enlever tous les détritus qui sont autour avant de pouvoir accéder au trésor. Mais il ne faut pas être pressé non plus. C’est se défaire du superflu, élaguer. Et ça résume bien le travail à faire sur soi.
Ça peut aller jusqu’à remettre en question tout son savoir, tout ce qu’on pense avoir déjà acquis. On ne dit pas que tout ce qui est acquis est faux. Mais il faut le challenger. De toute façon, ce qui est vraiment vrai ne pourra pas partir.

Ça permet aussi de voir toutes les facettes de ce que tu sais. Par exemple pour moi, c’était le mot amour. Je le connaissais et je le vivais. Mais depuis, j’ai pu l’associer au mot solitude, tandis qu’avant, je n’aurais pas pu voir la solitude comme un aspect de l’amour.

La notion de valeur, c’est quelque chose de très fort et très collant aussi. On est tous très identifié à nos valeurs. Chaque société a ses valeurs. Et ce ne sont pas les mêmes d’une société à l’autre, et pourtant, on les défend dur comme fer, comme si c’était notre sang.

Il y a les valeurs acquises et les valeurs innées, ce que j’appelle les valeurs intimes. Et bien sûr, il parlait des valeurs acquises.

En société, c’est très difficile à lâcher, car on est reconnu à travers ses valeurs. Je sais que pour moi, ça a été très difficile, quand je rencontrais des gens avec qui j’avais toujours été amie, à travers ces valeurs. Ainsi quand on prenait de nos nouvelles, je n’avais pas grand-chose à dire. Déjà, je n’étais pas malade, ce qui est plutôt rare à mon âge. Je ne vais plus au cinéma. Et c’est vraiment une souffrance de lâcher ces liens. En fait, il n’y a pas de lien à lâcher, mais à l’intérieur, tu as l’impression d’être un légume, ou plutôt, la peur d’être un légume. C’est ça qu’il faut lâcher.
Et je me souviens d’une fois où dans un groupe, quelqu’un me demande : « et toi, qu’est-ce que tu fais ? ». Et je m’entends répondre : « j’apprends à mourir. » Et les conversations ont continué. Personne ne semblait avoir entendu. Mais à la fin, une personne est venue vers moi pour me demander pourquoi j’avais dit ça et on a eu une conversation intéressante. Jamais je n’aurais pensé dire ça en société ! Ça crée d’autres choses. Et ça crée un grand repos, car il y a tout le poids des mondanités qui disparaît.

G. Oui, mais ça, c’est déjà bien en cours. Je constate de grosses avancées. Si je suis avec ma nouvelle compagne, c’est parce que j’ai pris de la distance avec mon ancien monde. Donc, je connais un peu.

Et là, tu es retombé dans le piège de la comparaison. Tu n’étais pas vraiment à l’écoute. Tu as comparé avec toi.

G. Si, j’ai entendu.

Tu as entendu, mais tu n’étais pas à l’écoute du message et de l’intention qu’il y avait derrière les mots.

Elle parlait de ce que c’est, que de vivre quand on a perdu certaines valeurs. C’était ça le message. Et toi tu as sauté dessus pour chercher une référence en toi. Et tu as loupé son message. Elle t’a décrit un exemple de processus de dépouillement, comment ça s’est produit et quels en étaient les résultats.