Note au lecteur : le bleu italique correspond à l'instructeur ; en noir, les autres intervenants.

Le néo-advaita démystifié

…Ces choses, quand elles pénètrent ou se déversent d’en haut, elles apparaissent avec une grande force, suscitent un sentiment très vif d’inspiration ou d’illumination, une grande sensation de lumière et de joie, une impression d’élargissement et de pouvoir. Le sâdhak se sent libéré des limites normales, projeté dans un monde d’expérience nouveau et merveilleux, empli, élargi, exalté; par ailleurs ce qui vient se conjugue avec ses aspirations, ses ambitions, ses conceptions de l’accomplissement spirituel et des pouvoirs surnaturels acquis par le yoga et va même jusqu’à se présenter comme la réalisation et l’accomplissement.
Il se laisse très facilement emporter par cette splendeur et cette irruption et a l’illusion d’avoir réalisé quelque chose de définitif ou du moins de souverainement vrai. À ce stade, il lui manque d’ordinaire la connaissance et l’expérience indispensables qui lui diraient que ce n’est là qu’un début très incertain et très mélangé; il peut ne pas comprendre tout de suite qu’il est encore dans l’ignorance cosmique, non dans la Vérité cosmique, moins encore dans la Vérité transcendante, et que toutes les idées-vérités formatrices ou dynamiques qui ont pu descendre en lui sont seulement partielles et d’autant plus amoindries qu’une conscience encore impure les lui a offertes. Il peut aussi ne pas comprendre que s’il applique avec précipitation ce qu’il réalise ou reçoit comme si c’était définitif, il risque soit de tomber dans la confusion et l’erreur, soit de s’enfermer dans une conception partielle où se trouve peut-être un élément de Vérité spirituelle, mais celui-ci sera sans doute éclipsé par des élaborations mentales et vitales plus contestables qui le déformeront tout à fait.

Ces mots, qui sont du sage indien Sri Aurobindo, se réfèrent à ce qu’il a appelé la Zone Intermédiaire, une zone dangereuse, fallacieuse, transitoire, spirituelle et pseudo-spirituelle entre la conscience ordinaire de l’être extérieur et la Vraie Réalisation.

Bien qu’ayant été écrits en 1932 comme des avertissements pour ses disciples, ils sont plus pertinents et importants aujourd’hui qu’alors.

Il semble que chaque jour apporte son maître « illuminé » auto-proclamé en Néo-Advaita. Ces gourous en Néo-Advaita ont réduit des milliers d’années d’enseignement de l’Advaita en l’équivalent de la malbouffe de Mac Donald. Il n’est désormais plus nécessaire pour les étudiants spirituels de s’engager dans la recherche personnelle ou dans le travail sur soi. Maintenant, la seule chose nécessaire pour « réaliser le Soi » est le déni constant et répété de sa propre identité et la (pseudo) « compréhension » que l’égo et tout ce qui arrive dans l’univers (essence et systèmes de croyance inclus) ne sont simplement qu’une « illusion ». Tout « arrive, il n’y a pas de chemin, pas de cause », et par conséquent, il n’y a absolument rien à faire.

C’est vraiment simple, comme pour Shankara, Buddha, Ramana Maharshi, Nisargadatta Maharadj, Rumi, et les quelques autres qui sont généralement considérés comme illuminés.

Quoi ? Attendez une minute, je ne me rappelle pas que c’était facile pour les Maîtres mentionnés ci-dessus. N’ont-ils pas passé des années, et parfois leur vie entière, à méditer, engagés dans le travail sur soi ? Oh que oui. Et c’est là tout le problème actuel, parce que les adeptes du mouvement Néo-Advaita réclament leur origine et leur lignée de l’Advaita, mais nient le travail que cela représente. En fait, ils soutiennent en permanence que ce n’est tout simplement pas nécessaire. Shit !

Il arrive même que ces « maîtres illuminés ou éveillés » auto-proclamés se croient eux-mêmes supérieurs ou plus avancés que leurs propres enseignants. Par exemple, Tony Parsons a déclaré que Ramana Maharshi vivait encore manifestement à partir de la dualité, et Andrew Cohen a dit que son gourou Poonjaji n’était pas illuminé — en d’autres mots que Maharshi et Poonjaji étaient endormis et que Parsons et Cohen étaient éveillés. Oui, bien sûr !

En plus de Parsons et Cohen, les gourous du Néo-Advaita anglophones bien connus incluent aussi Eckhart Tolle et Ramesh Balsekar. D’un autre côté, il en existe des centaines d’autres en Europe, aux États-Unis et en Australie.

Et ils ont tous une chose en commun, ils déclarent qu’ils ont réalisé le Soi, et se sont éveillés à leur vraie nature. Et bien sûr, ils veulent tous enseigner (et dans certains cas) prennent pour cible des adeptes du Néo-Advaita en quête de leur propre libération. Dans le processus, ces enseignants Néo-Advaita ont corrompu et tordu les principes et pratiques de l’Advaita jusqu’à ce qu’ils ne soient plus reconnaissables, excepté par les adeptes les plus perspicaces. Malheureusement, il semble que la plupart des adeptes ne soient pas capables de discerner les différences entre l’Advaita et le Néo-Advaita. Peut-être que cet article aidera.

La voie de l’advaita selon Shankara

Dans le cadre de cet article, voici ci-dessous un résumé très court des prérequis dont a besoin un chercheur pour atteindre la Réalisation de Soi ou la Libération (comme Shankara l’a indiqué dans son Vivekachudamani — The Crest Jewel of Discrimination, traduit du Tamil par Ramana Maharshi et du Tamil en anglais par Sir Arthur Osbourne).

Pour être qualifié dans le travail sur Soi, un homme doit posséder, outre les différentes qualités énumérées dans les écritures, un intellect fort et la capacité de saisir l’essentiel et de rejeter l’inutile. Il doit être capable de discriminer le réel de l’irréel. Il doit avoir un mental non attaché. Il doit désirer ardemment la libération. Et il doit pratiquer inlassablement. Seul un tel homme est qualifié pour travailler sur le Brahman. Les qualités sont énumérées ci-dessous :

  1. Discriminer le réel de l’irréel ;
  2. Ne pas être enclin à se réjouir des fruits de ses actions ;
  3. Les six vertus de tranquillité, contrôle de soi, retrait, retenue, foi, et concentration du Soi ;
  4. Une intense aspiration pour la libération.

L’aspirant doit effectivement avoir ces qualités pour pouvoir subsister dans le Soi ; sans elles, il ne peut y avoir de réalisation de la Vérité.

Voici donc la version simplifiée des instructions de Shankara pour la réalisation de la Vérité.

L’escroquerie du néo-advaita

Comparez ceci avec ce qui est nécessaire selon le Néo-Advaita. C’est-à-dire rien. Absolument rien n’est nécessaire à part une stratégie de déni. Les enseignants du Néo-Advaita déclarent ou s’auto-leurrent en disant que leur égo/identité n’existe pas, en fait, que rien n’existe réellement et que tout n’est tout simplement qu’une illusion.

Cela peut être fait facilement par tout un chacun, essayez et vous verrez. Prenez quelques minutes à présent et commencez par nier tout ce que vous percevez, tout ce qui vient en vous, y compris vous. À condition que vous fassiez cela régulièrement, vous pouvez vous retrouver hameçonné par l’escroquerie fondamentale du Néo-Advaita. Bien sûr, un peu de tricherie est aussi nécessaire. Il faut que vous soyez prêts et volontaires pour renier valeurs et éthique et si vous êtes prêts et volontaires pour vous mentir à vous-même alors vous êtes prêts pour être illuminés à la façon du Néo-Advaita.

Intégrer le Néo-Advaita apportera la joie d’un sentiment constant de supériorité. Vous allez aussi être récompensé par le sentiment d’être dans le vrai et d’avoir raison constamment et de ne jamais être dans le faux ni avoir tort quoi que vous disiez ou fassiez. Simplement parce que rien n’est réel – tout est illusion. Il n’y a personne pour être dans le faux. Shit !

L’Advaita traditionnel dit que l’égo est une illusion. Les « prophètes du satsang » posent cette assertion comme point de départ, en omettant totalement que cette réalisation ne peut survenir seulement qu’au bout d’années de recherche et de travail sur soi (et pas nécessairement de façon certaine.) Une fois que ce premier point est compris et que l’auto-tromperie est engagée, on obtient un sentiment très plaisant et constant de supériorité et d’invulnérabilité. C’est ce qu’ils considèrent comme l’ultime accomplissement et ils croient que c’est la même chose que ce qui a été vécu et enseigné par Ramana Maharshi, Nisargadatta Maharadj et même Shankara, bien qu’en réalité ce n’est rien d’autre que la version Néo-Advaita du nihilisme. Si c’est ce que vous recherchez, alors Parsons, Tolle, Balsekar, et leurs acolytes sont un bon choix d’enseignants.

Donner des satsangs leur donne des opportunités de rencontrer des auditeurs acquis d’avance et facilement hypnotisables à qui ils peuvent enseigner ce qui apparemment est si facilement compréhensible : « tout n’est qu’illusion »

Ci-dessous, d’autres caractéristiques communes de ces enseignants :

  • Les questions « inconfortables » sont éludées. La stratégie d’évitement est facile parce qu’à l’arrière-plan il y a une zone de sécurité : « ni moi ni les autres n’existent. »
  • L’essence – la valeur de base – est considérée au même niveau que l’identité : non existante.
  • Une attitude d’extrême arrogance/vanité (comment puis-je avoir tort ? Celui qui peut avoir tort n’existe pas, seuls ceux qui pensent encore qu’il y a autre chose que l’illusion ont tort).
  • Une totale absence d’humilité (« il n’y a personne pour s’en soucier ») et d’éthique.

Le résultat, c’est un mental purement abruti – épicé avec un peu de sagesse empruntée et mal comprise de l’Advaita.

Un chercheur véritable est quelqu’un qui a le désir, l’engagement et le talent de le « faire ». Mais il est difficile pour moi de dire si un chercheur véritable est capable de reconnaître d’office le vrai du faux pour éviter de tomber dans le piège du Néo-Advaita. Peut-être y-a-t-il aussi une question de destin, de chance et/ou de grâce.

Certains adeptes, qui ont des difficultés à sortir de leur égarement ont fini dans des hôpitaux psychiatriques (syndrome paranoïaque), d’autres ont eu le courage de prendre le rôle d’enseignant et de donner des satsangs, ce qui donne à leur égo « non-existant » la reconnaissance et la nourriture nécessaire pour continuer à survivre.

La vie devient un jeu entre les nihilistes « illuminés » ou entre un nihiliste auto-déclaré et un imbécile ignorant qui ne sert que de nourriture pour « confirmer que j’ai raison ». Et cela est si évident, qu’il semble y avoir une sorte d’autohypnose collective se déroulant sur une plus ou moins grande échelle.

Les adeptes du Néo-Advaita ont tendance à éluder les questions invasives parce que ce type de question ébranle leur postulat « qu’ils n’existent pas et que tout est une illusion ». À la place, ils utilisent des mots écran de fumée : « comment puis-je avoir tort puisque je n’existe pas en tant que « je » séparé ? ». Par conséquent, j’ai toujours raison.

Tout ceci ne résulte pas d’un travail sur soi mais comme un point de départ de tout ce qui est (re) présenté. Bien sûr, à un certain moment, on doit se mentir à soi-même pour le faire. Quand on triche avec soi-même toute la sincérité envers soi-même est éliminée. Ce mensonge prend naissance dès qu’il s’agit de renier son humanité, ce que Jésus veut dire avec « le fils de dieu » et que Maître Eckhart disait quand il faisait référence au « Gottesgeburt im Menschen », « la naissance de Dieu dans l’homme ».

A travers l’autohypnose constante et répétée (se dire que tout ne fait qu’« arriver », qu’il n’existe que « ici et maintenant »), vous glissez dans une « super-identité » basée sur un déni total de l’égo/identité. La Sadhana est un fardeau inutile parce que celui qui fait cela n’a tout simplement pas compris que tout est illusion, même le travail sur soi (donc, « pourquoi s’en soucier ? »).

Au lieu de considérer la réalisation que tout n’est qu’illusion comme le résultat d’années de recherche et de travail guidé sur soi, prenez-la simplement comme un point de départ, un postulat, une vérité évidente. Une fois que cette ruse auto-générée est mise en place, vous en viendrez automatiquement à la conclusion que la recherche personnelle (Ramana Maharshi) ou le travail sur soi (Gurdjieff) ou un gourou (Nisargadatta Maharadj) ne sont que des illusions non nécessaires.

Si vous vous sentez offensés par ce qui est écrit : peut-être devriez-vous être plus rusé dans le déni de votre propre existence et celle de vos géniteurs (tout n’est-il pas qu’illusion ?). Ou bien vous n’êtes pas complètement pris dans le jeu du Néo-Advaita et peut-être voudriez-vous reconsidérer le fait de savoir si cette direction est celle que vous voulez prendre.

Je vous propose le dialogue suivant avec Nisargadatta Maharadj…

Nisargadatta : « Pour aller au-delà du mental, vous devez avoir un mental parfaitement en ordre. Vous ne pouvez pas laisser un désordre derrière vous et aller au-delà. Celui qui recherche la Libération doit examiner son mental par ses propres efforts, et une fois que le mental est purifié par une telle introspection, la Libération est obtenue et apparaît évidente et naturelle. »

Q : « Donc pourquoi prescrire des sadhanas ? »

Nisargadatta : « La liberté de faire ce que l’on souhaite n’est en réalité qu’une limitation, tandis qu’être libre de faire ce qui doit être fait, ce qui est juste, est la véritable liberté. »

Q : « Comment l’absolu peut-il être le résultat d’un processus ? »

Nisargadatta : « Vous avez raison, le relatif ne peut pas aboutir à l’absolu. Mais le relatif peut bloquer l’absolu, tout comme ne pas barater la crème peut empêcher la séparation du beurre. C’est le réel qui crée l’urgence ; l’intérieur incite l’extérieur et l’extérieur répond par l’intérêt et l’effort. » « Il semble que vous vouliez une illumination instantanée, oubliant que l’instant est toujours précédé d’une longue préparation. Le fruit tombe soudainement, mais le mûrissement prend du temps. »

« Le chemin vers la vérité passe par la destruction du faux. Pour détruire le faux, vous devez remettre en question vos croyances les plus invétérées. »

Postscript

Bien, puisque vous avez choisi de lire ceci jusqu’au bout, je suppose que vous vous êtes peut-être demandé : « Pourquoi devrais-je vous écouter ? Qui donc êtes-vous ? » Et la réponse est que vous ne devriez pas m’écouter. Pas plus que vous ne devriez écouter Eckhart Tolle ou Tony Parsons. Du moins sans vous être véritablement écoutés vous-mêmes. Ce que vous pouvez faire, c’est rechercher au plus profond de vous-même, ne pas prendre les mots d’un autre pour acquis, quel que soit cet autre. Au lieu de cela, écoutez votre cœur et recherchez un instructeur qui vous enseigne comment éliminer les fardeaux inutiles, et qui dans le même temps encourage l’épanouissement de votre essence (votre valeur de base), votre nature divine, la crème de la crème qui réside dans le cœur de votre (et de son) humilité.

Si vous avez trouvé que cet article était utile, intéressant, sujet à controverse et qu’il vous a remué, soumettez-le et/ou postez-le sur les sites web appropriés, sur les forums et les groupes de discussion ; peut-être qu’ensemble nous pourrions jouer une petite part dans le réveil de la transe Néo-Advaita pour quelques personnes.